Monday, October 26, 2009

Le portrait équestre selon Hermès

Reprenant le thème archi classique du portrait et de la statue équestres, Hermès modifie en profondeur les codes du genre.










Le portrait équestre et la statue équestre sont des grands classiques de la représentation des hommes puissants, des chefs d'état, Condottiere et capitaines d'armées. Depuis la statue équestre de Marc-Aurèle au Capitole à Rome, qui a pour ainsi dire créé le genre, les grands noms de la peinture et de la sculpture ont travaillé sur ce thème au moyen-âge et à la Renaissance (ci-dessus Condottiere de Verrochio, ci-dessous Cosme Ier par Jean de Boulogne et statue équestre de Marc Aurèle).










Dans ce type de représentation, le cheval est pour ainsi dire utilisé comme un "piédestal", dont on célèbre les qualités plastiques et le statut de "plus noble conquête de l'homme". Le plus souvent le cheval n'est qu'un prétexte pour magnifier l'importance et l'allure du cavalier. Le message politique sous-jacent consiste à assimiler le gouvernement des peuples au dressage de la bête (le roi est aussi bon gouvernant qu'il est bon cavalier : ici Charles Quint par Titien)














La représentation à cheval a connu plusieurs évolutions au cours de l'histoire, tantôt hiératique tantôt agitée et fougueuse mettant en relief les muscles et les mouvements de l'animal, puis en faveur d'une mise en scène plus douce (effacement de l'approche militaire ou héroïsée du cheval romantique de Delacroix ou Géricault), un éclaircissement de la palette et un intérêt pour le cheval en soi, autrement que comme faire faire valoir de celui qui le monte (voir ci dessous Picasso). La photographie de la Belle Evasion, avec ses tons chauds et très lumineux, s'inscrit dans cette évolution.














L'image proposée par Hermès est intéressante à plusieurs titres. D'une part car on y retrouve les qualités classiques du portrait d'apparat (hiératisme, port altier, noblesse), mais renouvelée de façon dynamique par la proximité de l'angle de vue, les effets de lumière et de mouvement dans les cheveux, la crinière et les franges du vêtement. Cela apporte un élément relativement absent des autres types de portrait : la grâce, dont Alberti disait justement qu'elle est ce mouvement qui apporte de la vie à la beauté (mouvement dans les feuillages, dans les plis des robes, dans les cheveux notamment chez Botticelli).














La grâce tient aussi au personnage féminin mis en scène, chose relativement rare dans l'histoire du motif puisque le portrait équestre est un portrait de pouvoir. Les figures féminines sont peu nombreuses, à l'exception des amazones bourgeoises de Dreux ou du célèbre portrait de Catherine II de Russie (ci dessus de gauche à droite). Mais là encore l'image d'Hermès innove puisqu'il n'est pas question de riche héritière ou de tête couronnée, mais d'une cow-girl ou d'un indienne apache cheveux aux vent.

Prise en contre plongée, l'image écrase le spectateur imaginaire situé au pied de l'animal, en position d'être véritablement ébloui par la déesse-cavalière, et peut-être sur le point de tomber comme Saint Paul fraîchement converti au pied des sabots du Cheval de Caravage.














L'ensemble achève de donner à l'ensemble une atmosphère de calme olympien, de noblesse, d'assurance paisible mais aussi de liberté qui sont parmi les signes de reconnaissance que la maison Hermès cherche à communiquer, légère et forte à la fois.

Campagne Hermès La Belle Evasion Eté 2009

Lire également sur Hermès : 
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/hermes-et-le-paysage-mystique-post-venir.html

Friday, October 23, 2009

Prada et Gabrielle d'Estrées


Prada s'inspire de l'école de Fontainebleau pour magnifier l'érotisme saphique de son nouveau parfum.







Dans la dernière publicité pour le parfum Prada, des jeunes femmes se trémoussent en riant et pressent chacune la poire d'un flacon vaporisateur sur la poitrine de sa copine. La scène rappelle clairement le célèbre tableau de l'école de Fontainebleau, Gabrielle d'Estrées et sa soeur la duchesse de Villars (1594) où cette dernière pince le téton de sa voisine et qui se trouve au musée du Louvre.










La mise en scène installe un climat d'érotisme lesbien, dont la représentation reste finalement assez rare, dans la peinture et dans les images publicitaires. Le téton a été remplacé par la poire du flacon de parfum, dont la fonction métaphorique est évidente. La position des deux femmes côte à côte (elles nous regardent dans le tableau du Louvre, mais feignent de nous ignorer dans l'image Prada) désignent le spectateur comme le tiers (voyeur / partenaire / complice) de la relation des deux femmes.

On peut ajouter qu'en général on se parfume soi-même pour attirer l'autre, tandis qu'ici les jeunes femmes se parfument mutuellement pour s'attirer réciproquement - geste qui, réalisé sous le regard du spectateur, densifie encore la relation de triangulation et de chassé croisé des désirs (je te parfume afin d'être attirée par toi et réciproquement sous le regard d'un tiers alléché de nous voir nous attirer).







Dernier élément, qui n'est guère étonnant de la part de la marque Prada : le rattachement à l'esthétique maniériste qui est également celle de l'école de Fontainebleau. Les personnages s'en vont sautillant, virevoltant, affectent des poses compliquées, dont les courbes du corps dessinent des lignes complexes, à l'image des écharpes qui partent en tous sens. On exagère l'inclinaison d'un coude, du poignet, de l'épaule, en rupture franche avec les poses sages et naturelles de l'allure classique.

Spot parfum Prada The New Fragrance L'eau Ambrée
Gabrielle d'Estrées et sa soeur la duchesse de Villars (1594) Musée du Louvre

Merci à Camille Couture qui m'a suggéré ce rapprochement.