Cette publicité pour Dior Homme (époque Hedi Slimane) met en scène un homme vêtu de noir errant tête baissée vers ses souliers dans une pièce jonchée de figures géométriques diverses, cônes, parallélépipèdes, cubes, rectangles. Pensif ou mélancolique, il a l'air de se demander ce qu'il fait là, et nous aussi un peu d'ailleurs.


La pose du modèle et surtout les éléments disposés autour de lui peuvent être vus comme une référence directe à la gravure d'Albrecht Dürer Melancholia I. Je pense essentiellement aux volumes géométriques (sphère, polyèdre) sur la gauche du panneau. Notez également l'étendue d'eau située à l'arrière plan sous l'arc en ciel : j'y reviendrai.

Les interprétations et commentaires sur cette oeuvre sont tellement nombreux sur qu'il est illusoire de prétendre les résumer ici. De nombreux commentateurs (Erwin Panofsky et Frances Yates pour en citer deux parmi les plus importants) se sont intéressés aux solides géométriques disposées près du personnage : polyèdre au second plan (à proximité de l'échelle, symbole des degrés de la connaissance alchimiste), sphère située à gauche et carré magique derrière l'ange. Compas, règle, équerre, rabot, marteau, tenailles à l'abandon sur le sol sont aussi des outils qui servent à mesurer des proportions (instruments du géomètre, de l'architecte, de l'astronome...).
L'attitude mélancolique est ici associée - et c'est une nouveauté à l'époque - à l'esprit mathématique comme symbole de la quête intellectuelle à son degré le plus absolu. L'esprit humain se heurte à l'insondable complexité des objets mathématiques et la vanité d'une recherche scientifique sans fin (imperfection de l'esprit humain, limites de l'entendement, futilité de ses préoccupations). La mélancolie n'est pas seulement un phénomène médical ou psychologique, elle touche aux fondements de la pensée et revêt une dignité intellectuelle plus profonde.
Bref. Avant de conclure je reviens sur l'étendue d'eau qui se trouve à l'arrière plan de la gravure à gauche, et qui peut être aussi un symbole du monde changeant ou du voyage. Elle apparaît justement dans la dernière campagne Hugo Boss où l'opposition avec les motifs géométriques réguliers (pierre / acier) situés au premier plan est flagrante.


La mode insouciante et volage trouve ici les moyens d'illustrer sa dignité, son sérieux, sa noblesse intellectuelle. La coupe des vêtements se rattache moins à l'art de la couture qu'à la science des nombres et des surfaces. Les solides géométriques soulignent la sobriété et la pureté aristocratique de la marque. On les retrouve également chez Hugo Boss où des polyèdres métalliques ou de Plexiglas bleuté apparaissent au milieu des blocs de béton dont le rivage est jonché. Opposition franche de l'eau et de la pierre, de la verticalité et du champ de ruine, l'image est peut-être une façon de montrer que la mode ne peut faire l'économie d'une méditation sur le temps et sur la tentative de l'homme à créer des formes vouées à la destruction.