Wednesday, January 02, 2013

Charles Baudelaire au Comptoir des Cotonniers

La campagne Comptoir des Cotonniers automne / hiver aperçue sur deux pages consécutives du Vogue français (septembre ou octobre 2012 - je ne me souviens plus) met en scène 2 jeunes femmes marchant bras-dessus, bras-dessous dans les rues de Paris, et qui semblent littéralement "passer" devant le lecteur, s'approchant de lui sur la première double page et s'éloignant sur la double page suivante.


De nombreuses photographies de mode mettent en scène des mannequins "prises sur le vif", photographiées dans la cohue d'un défilé, sortant d'une voiture, à travers des fenêtres à demi closes et des portes entrouvertes - c'est une rhétorique visuelle classique du caché - montré, de l'apparition furtive. Mais il est beaucoup plus rare de voir ainsi traité le thème du passage et de la passante - d'autant plus que ce passage est vraiment construit par la succession "vue de face" / "de dos" dans le défilement des pages du magazine.

Chacun a en tête au moins quelques vers du poème de Charles Baudelaire, "à une passante", justement centré sur l'esthétique de l'éphémère et de l'apparition brusque de la beauté dans le tumulte de la ville, constitutive de la modernité des "tableaux parisiens".

A une passante (Les fleurs du mal, 1857)

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,     
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.


Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?


Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Baudelaire célèbre le transitoire, le fugitif  le surgissement de la merveille dans le brouhaha des rues alentour. Par une sorte de raccourci, ce sont désormais les publicités qui se suivent et garnissent les premières pages des magazines de mode qui font office de la "rue assourdissante" à l'intérieur de laquelle surgissent les passantes du Comptoir des cotonniers.

Non seulement la rue parisienne est un grand catwalk à ciel ouvert - ce que d'autres marques ont déjà mis en scène - mais le magazine lui-même, avec ses annonces publicitaires tonitruantes et interchangeables, est désigné comme un milieu ambiant désordonné et agressif à l'intérieur duquel la marque se doit de faire éclore la beauté sous une forme éphémère bien sûr, et même doublement, puisque qu'il s'agit de mode.