Karl Lagarfeld rejoue dans ses installations monumentales le thème néo-classique de l'admiration mélancolique devant les chefs d'oeuvres du passé.

Ce dispositif a déjà l'originalité de renverser le rapport scène / coulisses puisque celles-ci se situent littéralement au milieu de la scène, et non pas derrière comme c'est le cas habituellement. La veste est en réalité une armature creuse à l'intérieur de laquelle les mannequins peuvent se préparer, et d'où elles apparaissent par une petite embrasure aménagée sous le dernier bouton.
Ce dispositif est surtout une manière de rendre un culte à la figure tutélaire de la maison, dont les créations sont érigées comme de véritables monuments, en comparaison de quoi les contemporains ne sont que des nains. On retrouve ici toute une tradition néo-classique et romantique de la méditation sur les ruines et les monuments du passé. Dressées au milieu du paysage comme des balises temporelles, ils rehaussent la nature et y introduisent une méditation mélancolique sur le génie des anciens, le temps qui passe et la mort (sur le thème de la ruine, voir également ici). A bientôt 80 ans, K. Lagarfeld ne prétend d'ailleurs jamais autre chose que revenir aux sources de l'esprit Chanel, proposer des vêtements que Chanel elle-même aurait pu réaliser : il n'est que l'exécutant d'une partition écrite avant lui où tout est déjà dit.

On reconnaît dans la mise en scène du grand palais quelque chose du Désespoir de l'artiste devant la grandeur des ruines antiques de Johann Heinich Fussli (1741 - 1825) ou des caprices et vues de Rome de Piranèse (1720 - 1778). L'éthos de Lagarfeld rappelle celui de ces petits personnages qui se promènent au pied de monuments gigantesques. La dimension mélancolique et douloureuse s'est effacée (en partie), mais l'hommage et la révérence persistent.

En réaction aux ornementations baroques et aux égarements du style rococco jugé excessivement maniéré, le néo-classicisme avait voulu célébrer au XVIIIème siècle la beauté éternelle de l'art grec antique, les vertus mâles de la première République. Pour une marque comme Chanel, incarnation de la modernité classique, c'est une filiation créative et un registre esthétique qui se comprennent aisément (notamment vis-à-vis de Dior).
La méditation devant les ruines est un thème multiforme, tantôt optimiste et admiratif, tantôt douloureux, sombre, désespéré. Et l'inspiration gothique des campagnes Chanel Automne Hiver 2008 avec Claudia Schiffer donnera bientôt lieu à de nouveaux commentaires.
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