Tuesday, August 25, 2009

Chanel et Caspar David Friedrich

La campagne Chanel Automne - Hiver 2009 serait-elle un hommage discret aux plus célèbres oeuvres du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich (1774 - 1840) ? Prise en noir et blanc ou léger sépia dans la propriété de Karl Lagarfeld dans le Vermont, c'est sûrement l'une des images de mode les plus intéressantes de ce début de saison, avec deux des thèmes les plus célèbres du grand peintre du romantisme allemand, le personnage de dos contemplant le paysage, et de l'arbre noueux.









En l'occurrence, il s'agirait plutôt ici une double référence enchâssée puisque le personnage de dos (premier motif) est situé au premier plan et s'avance justement vers une arbre au second plan, dont nous ne percevons les branches qu'indirectement que par ombre portée sur le sol (second motif). 













Le motif du personnage de dos est une astuce dont on se sert pour projeter le spectateur à l'intérieur même de la peinture, comme pour lui signifier que le personnage qu'on ne voit pas, est justement un alter-ego du spectateur dans le paysage représenté. Montrer un personnage de dos est justement le moyen de montrer que l'important n'est pas le personnage lui-même, mais ce qu'il regarde (voir également Poussin et son Et in Arcadia Ego) . C'est une façon intéressante de construire l'identification du spectateur en évitant les effets de face-à-face tellement usé dans l'industrie de la mode . C'est surtout une façon originale de présenter le vêtement et de le magnifier en attisant le désir de voir un objet qui se dérobe.

L'astuce est d'autant plus intéressante que le personnage en que
stion s'avance et marche, si bien que le spectateur déjà "invité" à se transporter symboliquement en lieu et place de la jeune femme (et pour ainsi dire "dans ses vêtements"), s'avance encore vers le fond de l'image et l'arbre. 




















Chez Caspar Friedrich, le thème de l'arbre noueux est une image de la mort et de la désolation, un support de la méditation mélancolique du voyageur romantique porté à voir dans les paysages et la nature une projection de son propre moi souffrant. Sans qu'il y ait dans l'image de Chanel rien de morbide, on retrouve néanmoins la tonalité douce-amère du paradis perdu baigné du calme mélancolique légèrement inquiétant, cette impression de sobriété, de retenue et d'hyper-intellectualité dont la marque est si familière.

Publicité Chanel Automne Hiver 2009 (voir par exemple Vogue Septembre 2009)
Caspar Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuage, 1818 (Kunsthalle, Hambourg)
Nicolas Poussin, Les Bergers d'Arcadie (première version, 1629)
Caspar Friedrich, L'arbre aux corbeaux, 1822 (Musée du Louvre, Paris)
Caspar Friedrich, Matin, 1821 (Hanovre)

1 comment:

Matthieu Guével said...

Je vous remercie de ces encouragement. Ces textes ne sont publiées que ce sur ce blog, mais vous avez raison, je devrais peut-être les proposer à un magazine. Je ne participe à la création d'aucune des campagnes commentées, et je vous concède volontiers que certains rapprochements sont plus évidents que d'autres. Je prépare un post sur la dernière campagne Vuitton avec Madonna, vous me direz ce que vous en pensez. Bien cdt. Mg