Friday, September 18, 2009

Dolce & Gabbana & Pelizza

Variations autour de la figure de la marche collective : entre bande de casseurs et procession politique.

















La figure de l'homme qui marche est un motif récurrent de l'histoire de l'art. Le tableau de Giuseppe Pelizza Quarto Stato en offre une version intéressante, sous la forme d'une marche collective dont les personnages s'avancent, l'air décidé, vers le spectateur. Le thème du tableau est une grève de travailleurs, thème classique amplement traité chez les peintres réalistes européen vers la fin du XIXème siècle.

Nourri de lectures marxistes et de l'héritage de la révolution de 1789, Pelizza se distingue toutefois de ses congénères en ce qu'il évite deux poncifs de la représentation des masses laborieuses : soit la description brutale et crue de la misère, soit la mise en scène de l'agitation violente et excitée. A la place on observe ici la représentation d'une sorte de "force tranquille", la progression irrépressible d'hommes et de femmes certains de la victoire.

Dolce Gabbana reprend ce thème de la marche en avant inéluctable, mais inverse radicalement (et ironiquement) le sens de l'image. Ce ne sont plus des travailleurs qui incarnent la révolution mais des jeunes hommes hyper-chics qui s'avancent l'air tranquille et décidé vers le spectateur, comme s'ils étaient des militants d'une nouvelle aristocratie, sûre de son bon droit.

Cette vision positive et conquérante de l'image n'est d'ailleurs pas la seule possible. Le groupe d'homme en marche revêtus de costumes cintrés rappelle également le thème des voyous et des blousons noirs, surtout dans le contexte urbain et nocturne. De sorte qu'on ne sait pas si la marque propose la vision d'un homme conquérant situé aux avants portes de la mode moderne, ou des loubards chics subtilement subversifs. Sans doute un peu des deux.

Affiche Dolce Gabbana
Giuseppe Pelizza, Quarto Stato (1901), Pinacothèque de Brera, Milan.

Monday, September 14, 2009

Kenzo et Gustav Klimt

Sur l'influence du décoratisvisme sur la photo de mode (un exemple parmi d'autres)

Cette affiche de la dernière campagne Kenzo automne-hiver 2009 montre des personnages (l'oeil en repère d'abord 3, puis 5) ensevelis sous des monceaux d'étoffes, tissus bariolés, écharpes à carreaux, vêtements colorés. Par les effets de superposition, de couleur et de juxtaposition (des personnages eux-mêmes et de leurs vêtements) les visages et les corps disparaissent quasiment de l'image.

Cette posture rappelle en tous points certaines oeuvres du peintre viennois Gustav Klimt (1862 - 1918), notamment le bébé noyé sous une montagne de couvertures, ou bien encore Adele, dont la tête émerge à peine au dessus de la robe. Ces toiles sont caractéristiques d'un mouvement de la peinture viennoise au début du siècle, dans l'antichambre de l'art abstrait : le décor prolifère à tel point qu'il envahit l'espace entier jusqu'à faire disparaître la figure humaine. Les visages et les corps se perdent au milieu des ornementations et des motifs décoratifs. L'oeil met du temps à distinguer la forme d'un drap dans ce qui paraît d'abord un bric-à-brac de couleurs.













Que peut apporter l'héritage de Gustav Klimt à la communication d'une marque comme Kenzo ?
L'art de Klimt est d'abord un art de contestation par rapport aux solutions académiques de son temps. C'est aussi un art de la revalorisation des objets utilitaires ou du quotidien (parmi lesquels peut-être le vêtement peut prendre sa place) par rapport aux sujets nobles des beaux arts. C'est aussi un art d'illustration et de défense du décorativisme, de l'ornementation. La profusion des détails, la richesse des décors et la coloration exubérante en sont les caractéristiques essentielles. De ce point de vue l'image de Kenzo adopte ce registre exclusivement rétinien de valorisation du vêtement vu, en contraste avec les images de mode où l'on s'efforce de capter l'attention sur des gestes, des postures, des mouvements de mannequins qui mettent en valeur la souplesse du vêtement porté.













Si l'héritage de Klimt peut convenir, c'est peut-être qu'il convient à la communication d'une marque pour qui la célébration de la figure humaine ne doit plus occulter le sujet essentiel qui reste le vêtement et le goût de l'habit. A quoi bon fabriquer une image de marque et de beaux vêtements si l'oeil reste prisonnier de la contemplation d'un beau corps de mannequin, d'un visage de people u de la signature d'un photographe célèbre choisi pour les promouvoir ? L'image proposée ici par Kenzo pourrait être lue comme une forme de revanche du vêtement sur ceux qui les portent.

Affiche Kenzo Automne Hiver 2009
Gustav Klimt, Le Bébé (1917 - 1918), Washington National Gallery of Art
Gustav Klimt, Adele Bloch Bauer (1907), Austrian Gallery Vienne

Sunday, September 06, 2009

Dior et Velazquez

Suite de la série Lady Dior avec Marion Cotillard : après Paris en noir, l'actrice voit rouge à New York. Comme la fois précédente, l'affiche sert d'avant goût au mini-film qui sera bientôt diffusé sur Internet.

La pose et le motif classique du regard dans le miroir rappellent le tableau de Velazquez, La vénus au miroir (1651). Le choix des couleurs, disposées quasiment aux mêmes emplacements de l'image avec le rouge (rideau ou robe), le noir (drap ou sac) et la blancheur de la peau incite encore davantage au rapprochement.


















Le tableau de Velazquez s'inscrit dans la lignée des images de Venus allongée, thème classique depuis la renaissance italienne. Le peintre ajoute cependant à la méditation classique sur la beauté égocentrique et la vanité un procédé visuel qui prend le spectateur par surprise, dans la mesure où celui qui pensait pouvoir impunément épier la jeune femme de dos est à son tour surpris par celle qui le regarde par le miroir. Tel est pris qui croyais prendre.

Dans l'affiche d'Annie Leibovitz pour Dior, Marion Cotillard ne regarde pas le spectateur et bien que se sachant regardée, elle refuse de briser l'illusion d'une jeune femme absorbée dans sa méditation. Cette posture est du reste typique des publicités pour Dior, où les femmes jouissent du pouvoir d'attraction que leur confère sur la gent masculine leur état d'abandon apparent. Tandis que Vénus reprend le contrôle sur le spectateur en lui faisant comprendre qu'elle l'a vu, Marion l'exerce en faisant mine de ne pas avoir vue qu'elle était observée.

Dior Affiche Lady Rouge, Automne 2009
Diego Velazquez, Vénus à son Miroir (ou La toilette de Vénus ou La Vénus Rokeby), 1649 - 1651, National Gallery, Londres