Monday, September 14, 2009

Kenzo et Gustav Klimt

Sur l'influence du décoratisvisme sur la photo de mode (un exemple parmi d'autres)

Cette affiche de la dernière campagne Kenzo automne-hiver 2009 montre des personnages (l'oeil en repère d'abord 3, puis 5) ensevelis sous des monceaux d'étoffes, tissus bariolés, écharpes à carreaux, vêtements colorés. Par les effets de superposition, de couleur et de juxtaposition (des personnages eux-mêmes et de leurs vêtements) les visages et les corps disparaissent quasiment de l'image.

Cette posture rappelle en tous points certaines oeuvres du peintre viennois Gustav Klimt (1862 - 1918), notamment le bébé noyé sous une montagne de couvertures, ou bien encore Adele, dont la tête émerge à peine au dessus de la robe. Ces toiles sont caractéristiques d'un mouvement de la peinture viennoise au début du siècle, dans l'antichambre de l'art abstrait : le décor prolifère à tel point qu'il envahit l'espace entier jusqu'à faire disparaître la figure humaine. Les visages et les corps se perdent au milieu des ornementations et des motifs décoratifs. L'oeil met du temps à distinguer la forme d'un drap dans ce qui paraît d'abord un bric-à-brac de couleurs.













Que peut apporter l'héritage de Gustav Klimt à la communication d'une marque comme Kenzo ?
L'art de Klimt est d'abord un art de contestation par rapport aux solutions académiques de son temps. C'est aussi un art de la revalorisation des objets utilitaires ou du quotidien (parmi lesquels peut-être le vêtement peut prendre sa place) par rapport aux sujets nobles des beaux arts. C'est aussi un art d'illustration et de défense du décorativisme, de l'ornementation. La profusion des détails, la richesse des décors et la coloration exubérante en sont les caractéristiques essentielles. De ce point de vue l'image de Kenzo adopte ce registre exclusivement rétinien de valorisation du vêtement vu, en contraste avec les images de mode où l'on s'efforce de capter l'attention sur des gestes, des postures, des mouvements de mannequins qui mettent en valeur la souplesse du vêtement porté.













Si l'héritage de Klimt peut convenir, c'est peut-être qu'il convient à la communication d'une marque pour qui la célébration de la figure humaine ne doit plus occulter le sujet essentiel qui reste le vêtement et le goût de l'habit. A quoi bon fabriquer une image de marque et de beaux vêtements si l'oeil reste prisonnier de la contemplation d'un beau corps de mannequin, d'un visage de people u de la signature d'un photographe célèbre choisi pour les promouvoir ? L'image proposée ici par Kenzo pourrait être lue comme une forme de revanche du vêtement sur ceux qui les portent.

Affiche Kenzo Automne Hiver 2009
Gustav Klimt, Le Bébé (1917 - 1918), Washington National Gallery of Art
Gustav Klimt, Adele Bloch Bauer (1907), Austrian Gallery Vienne

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