Friday, October 26, 2012

Yves saint Laurent, Yves Klein


Le dernier film publicitaire d'Yves Saint Laurent "Manifesto" est une référence explicite à l'oeuvre du peintre français Yves Klein. On y voit une jeune artiste réaliser un tableau en se servant de son propre corps comme d'un pinceau, utilisant ses mains couvertes de peinture  pour appliquer de la couleur sur une toile. Elle se réappropriera ensuite son oeuvre en achetant elle-même sa propre toile vendue aux enchères, au nez et à la barbe d'un acquéreur motivé, qui tombera naturellement sous le charme de l'artiste, qui en plus d'être belle et talentueuse, se trouve également être riche.



L'amourette mise à part, l'allusion aux célèbres Anthropométries d'Yves Klein est manifeste (voir ci-dessous, Yves Klein, anthropométrie de l'époque bleue, ANT 82, 1960, Musée Georges Pompidou - Paris)



Les anthropométries étaient, chez Yves Klein, les résultat de performances réalisées en public et en musique à la Galerie internationale d'art contemporain, avec des modèles couvertes de peinture et dirigées à distance par l'artiste, qui leur demandent de se frotter ou de se coucher contre des toiles posées sur le sol, selon une technique que Klein appelait "technique des pinceaux vivants". (voir ci dessous, Yves Klein, anthropométrie à campagne première, Galerie internationale d'Art contemporain, paris, Mars 1960, (c) Harry Shunk)



Au-delà du clin d'oeil ou du gimmick artistique, le rapprochement permet au film d'amorcer une réflexion visuelle sur plusieurs aspects de la mise en scène d'un produit par définition invisible, le parfum, qu'on ne peut naturellement pas "faire sentir" à la télévision et dont la représentation soulève de ce fait plusieurs défis intéressant qui sont la grammaire incontournable de cette catégorie de produits en publicité.

D'une part, le film construit une symétrie entre la peinture qui est une trace visible laissée par le modèle et le parfum qui est la trace olfactive de ce même personnage. Voilà ce que serait l'empreinte parfumée du personnage si nous pouvions la voir. Et du même coup, ce qui est intéressant, c'est que le sillage parfumé de la jeune femme acquiert lui-même le statut d'une quasi oeuvre d'art, comme s'il était un tableau olfactif.Ce phénomène rejoint parfaitement la philosophie d'Yves Klein, qui a dit et écrit plusieurs fois que son intention était de "rendre visible une réalité invisible", en assimilant des énergies de l'univers pour les faire exister sur une toile ou sur un support quelconque. le lien avec Klein n'est donc pas uniquement visuel mais quasi philosophique, sans rien exagérer non plus.

D'une part, comme l'anthropométrie consiste à laisser théorique le corps humain faire le tableau, sans intervention directe de l'artiste, la référence choisie par la marque peut ne pas être tout à fait anodine, dans un contexte où celle-ci doit se réinventer après la mort de son créateur, en 2008. Le parfum n'est pas donné de l'extérieur à une personne qui voudrait l'acquérir, il est comme une émanation de cette personne elle-même, et comme une ode à son autonomie. Autonomie qui plus est radicale, puisque celle qui crée l'oeuvre comme artiste refuse de la laisser s'échapper et se la réapproprie ensuite comme collectionneuse. Manifeste donc, à l'indépendance et à la liberté peut-être d'ailleurs davantage qu'à l'audace, notion si souvent usitée qu'elle en perd de son tranchant, bien qu'elle soit évoquée ici en fin de spot.

plus d'infos sur Yves Klein ici :
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-yves_klein/ENS-Yves_Klein.htm

Sunday, May 13, 2012

La Joconde de Vuitton

Encore un post sur Louis Vuitton. Celui-ci paraîtra sûrement exagéré. L'idée vient du (beau) commentaire de Daniel Arasse sur la Joconde de Leonard de Vinci, et le sens qu'il donne à l'arrière plan du tableau - paysage chaotique, pré-humain, sommets à pics, marécages qui tranchent avec la figure de Mona Lisa, radieuse et souriante. Daniel Arasse y voit le jeu subtil entre le chaos et la grâce, ou comment le sourire de la Joconde permet l'union du chaos à la grâce, et comment du chaos on passe à la grâce et comment de la grâce on repasse au chaos. Méditation sur le temps qui passe et la force du portrait qui fixe un instant fugace, l'instant d'un sourire qui n'est déjà plus. Commentaire d'une grande profondeur, dont on ne peut ici retracer tous les fils mais qui est disponible ici

Bref. Il y a je crois quelque chose du même ordre dans la composition d'Annie Leibovitz avec Angelina Jolie. Sans parler de la figure centrée, du bras gauche posé entre la figure et nous, du thème de l'eau (l'eau qui coule, la barque comme image du temps qui passe), il y a ce jeu entre la nature primitive et sauvage du Cambodge et le produit de luxe négligemment posé sur l'embarcation, dont on ne sait s'il est une méditation sur la vanité des objets face à l'immensité du cosmos, ou la mise en scène d'une création de l'homme dans un environnement qui le dépasse. Si l'on retient cette idée c'est évidemment le sac qui concentre la tension visuelle du rapport entre le premier plan et l'arrière plan car il est certain que A. Jolie, elle, ne sourit pas. 


Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/lara-stone-au-bois-damour-ophelie-post.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2011/04/le-mouvement-de-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/le-dinosaure-et-le-sac-main-vanite-xxl.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/02/vanite-chez-louis-vuitton.html

Le mouvement de Louis Vuitton

A Londres, dans la boutique Louis Vuitton de New Bond Street, les sacs de la marque sont présentés en vitrine accrochés sur les rayons d'une roue.















Ce dispositif rappelle plusieurs choses. Il y a la "roue de bicyclette" de Marcel Duchamp, posée à l'envers sur un tabouret.













L'oeuvre de Marcel Duchamp traite de la question centrale du mouvement et des façons de le mettre en scène ou de l'évoquer sur un support fixe. Cette question clé traverse plusieurs compositions duchampiennes, comme le "Nu descendant un escalier". Et c'est également cette évocation du mouvement qui est au coeur du dispositif de Louis Vuitton. Ce thème n'est évidemment pas anodin, tant la poésie du sac féminin est associée aux divers mouvements de cet accessoire le long ou contre le corps de celle qui le porte, accroché au bras, au coude, tenu à la main, se balançant lors de la marche, fermement maintenu ou négligemment tenu. De ces mouvements naissent le charme si l'on en croit Lucien Arréat, écrivain et philosophe (1841-1922) pour qui "La beauté réside plutôt dans la forme, la grâce dans les mouvements, le charme dans l'expression".

La roue de Vuitton rappelle également avec ses couleurs vives et les sacs accrochés comme des nacelles les grandes roues de fêtes foraine, le célèbre "London Eye" de Greenwich, les roues de la fortune ou les cibles mouvantes des stands de tir à la carabine.











La roue exposée dans la vitrine chez Vuitton condense ainsi plusieurs niveaux d'évocations culturelles et parvient à construire autour du luxe une imagerie populaire et colorée, au croisement des codes touristiques de l'amusement et de la fête, tout en laissant poindre une réflexion plus profonde sur les ressorts du charme associé à l'un des accessoires fétiches des fashionistas.

Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/lara-stone-au-bois-damour-ophelie-post.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/le-dinosaure-et-le-sac-main-vanite-xxl.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/02/vanite-chez-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/madonna-van-dongen-post-venir.html