Le dernier film publicitaire d'Yves Saint Laurent "Manifesto" est une référence explicite à l'oeuvre du peintre français Yves Klein. On y voit une jeune artiste réaliser un tableau en se servant de son propre corps comme d'un pinceau, utilisant ses mains couvertes de peinture pour appliquer de la couleur sur une toile. Elle se réappropriera ensuite son oeuvre en achetant elle-même sa propre toile vendue aux enchères, au nez et à la barbe d'un acquéreur motivé, qui tombera naturellement sous le charme de l'artiste, qui en plus d'être belle et talentueuse, se trouve également être riche.
L'amourette mise à part, l'allusion aux célèbres Anthropométries d'Yves Klein est manifeste (voir ci-dessous, Yves Klein, anthropométrie de l'époque bleue, ANT 82, 1960, Musée Georges Pompidou - Paris)
+1960.jpg)
Les anthropométries étaient, chez Yves Klein, les résultat de performances réalisées en public et en musique à la Galerie internationale d'art contemporain, avec des modèles couvertes de peinture et dirigées à distance par l'artiste, qui leur demandent de se frotter ou de se coucher contre des toiles posées sur le sol, selon une technique que Klein appelait "technique des pinceaux vivants". (voir ci dessous, Yves Klein, anthropométrie à campagne première, Galerie internationale d'Art contemporain, paris, Mars 1960, (c) Harry Shunk)

Au-delà du clin d'oeil ou du gimmick artistique, le rapprochement permet au film d'amorcer une réflexion visuelle sur plusieurs aspects de la mise en scène d'un produit par définition invisible, le parfum, qu'on ne peut naturellement pas "faire sentir" à la télévision et dont la représentation soulève de ce fait plusieurs défis intéressant qui sont la grammaire incontournable de cette catégorie de produits en publicité.
D'une part, le film construit une symétrie entre la peinture qui est une trace visible laissée par le modèle et le parfum qui est la trace olfactive de ce même personnage. Voilà ce que serait l'empreinte parfumée du personnage si nous pouvions la voir. Et du même coup, ce qui est intéressant, c'est que le sillage parfumé de la jeune femme acquiert lui-même le statut d'une quasi oeuvre d'art, comme s'il était un tableau olfactif.Ce phénomène rejoint parfaitement la philosophie d'Yves Klein, qui a dit et écrit plusieurs fois que son intention était de "rendre visible une réalité invisible", en assimilant des énergies de l'univers pour les faire exister sur une toile ou sur un support quelconque. le lien avec Klein n'est donc pas uniquement visuel mais quasi philosophique, sans rien exagérer non plus.
D'une part, comme l'anthropométrie consiste à laisser théorique le corps humain faire le tableau, sans intervention directe de l'artiste, la référence choisie par la marque peut ne pas être tout à fait anodine, dans un contexte où celle-ci doit se réinventer après la mort de son créateur, en 2008. Le parfum n'est pas donné de l'extérieur à une personne qui voudrait l'acquérir, il est comme une émanation de cette personne elle-même, et comme une ode à son autonomie. Autonomie qui plus est radicale, puisque celle qui crée l'oeuvre comme artiste refuse de la laisser s'échapper et se la réapproprie ensuite comme collectionneuse. Manifeste donc, à l'indépendance et à la liberté peut-être d'ailleurs davantage qu'à l'audace, notion si souvent usitée qu'elle en perd de son tranchant, bien qu'elle soit évoquée ici en fin de spot.
plus d'infos sur Yves Klein ici :
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-yves_klein/ENS-Yves_Klein.htm
No comments:
Post a Comment