Friday, October 17, 2008

Merchandising de luxe et Art Minimal


Un exemple parmi d'autres des liens ténus de l'art et le luxe.


Les corners des grands magasins ou les vitrines des boutiques de luxe s'inspirent directement, dans les dispositifs d'éclairage ou l'aménagement des étagères, des formes plastiques nées des oeuvres de l'art minimal ou de l'art conceptuel de la seconde moitié du XXème siècle.










L'influence de Donald Judd (ici à gauche : Stack, 1972, Centre Pompidou) est assez claire chez Dior Homme au Bon Marché : étagères lumineuses, alignement vertical régulier de rectangles de métal brossé, plexiglas lisse et brillant, acier inoxydable ou laiton. Les souliers sont posées sur des tablettes laquées, éclairés à travers des plaques translucides par des néons installés à l'intérieur des volumes, créant une lumière laiteuse, lunaire.










Dans les vitrines de Louis Vuitton sur les Champs Elysées et en octobre 2008 dans celles de Christofle rue royale, c'est Dan Flavin (ici en haut à la Fondation Cartier) qui inspire les scénographes et vitriniers (sic).













Les sacs et les manteaux apparaissent dans un décor de néons multicolores, qui revisitent d'ailleurs le principe de l'enseigne lumineuse, ordinairement installée à l'extérieur de la boutique, et désormais chargée d'animer ses espaces intérieurs. Il y aurait comme cela des dizaines d'autres exemples à examiner où la forme des meubles (effets d'asymétrie, de décalages, ou d'extrême régularité), des caisses, la gestion de la lumière (transparence, opacité, jeux chromatiques), la conception de l'espace dans les lieux de vente s'inspire plus ou moins directement de courants artistiques.

Ce choix de l'art minimal peut surprendre, au moins à double titre.

  • D'une part, c'est un art dont on disait à l'époque qu'il ne pourrait jamais se fondre dans la culture populaire (posters, références communes), tant il semblait conceptuel, aride, radical. Il y entre aujourd'hui par une voie détournée.
  • D'autre part, c'est un art qui a d'emblée cherché à évacuer les signes visibles de l'effort, des émotions ou du travail de l'artiste, au profit des formes pures, géométriques, industrielles, impersonnelles. Aussi est-il curieux de les retrouver associés aux objets de luxe "faits main" avec une "profondeur", du savoir-faire artisanal incarné, etc...
L'art minimal se concentre sur les données fondamentales de l'espace et de l'objet (dimension, surface, emplacement) et crée des objets conçus pour être appréhendés directement pour ce qu'ils sont. Il n'y a rien à aller chercher "au-delà" de la perception directe (interprétation, symboles, etc). Les artistes de cette école (Frank Stella, Robert Morris, Carl andré, Sol Le Witt, Dan Flavin, Donald Judd) restent fidèles à la formule de l'architecte Mies Van der Rohe : "Less is more".

Sans doute les marques trouvent-elles dans cette complémentarité entre l'impersonnel géométrique et l'objet de luxe chargé d'histoire l'occasion d'une rencontre intéressante, en plus de l'intérêt plastique des oeuvres en elles-mêmes.

C'est aussi (peut-être) le moyen de récupérer implicitement tout le travail de l'art minimal sur la posture du spectateur. Les objets de l'art minimal obligent toujours le visiteur à s'interroger sur sa perception (qu'est-ce que je vois exactement ?), c'est-à-dire à "faire le point" pour se reconnecter avec les données essentielles de l'expérience sensorielle : couleurs, formes, surfaces, etc. Voilà qui permet justement de préparer à la pure perception des produits et d'alimenter le sentiment qu'ils sont différents des autres, et (légitimement) plus cher.

Retournement curieux : tandis que les artistes de ce courant se sont efforcé, en créant ce qu'ils appelèrent des "objets spécifiques" à englober le contexte environnant dans l'oeuvre elle-même, aujourd'hui c'est l'oeuvre qui est devenue l'espace environnant, le support sommé de mettre en valeur un objet posé dessus.

Voir le dossier du Musée National d'Art Moderne / Centre Pompidou

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