De l'influence de la littérature et de la poésie dans l'univers des bijoux
La collection du joaillier Chaumet baptisée
"attrape moi si tu m'aimes" déploie sa vision délicate et bucolique de la vie dans les campagnes, et propose des bijoux en forme de petits insectes, coccinelles, abeilles, araignées sur leurs toiles, etc.
Cette inspiration naturaliste est monnaie courante dans la haute joaillerie, où l'on ne compte plus les colliers, anneaux, broches inspirées des formes organiques, animales et naturelles. Le thème de la panthère chez Cartier, les créations de l'art nouveau en général et Lalique en particulier en sont des exemples (
voir ici). Avant cela, au sein de la maison Chaumet, ce goût des formes de la nature fut très en vogue au XIXème siècle pendant la période romantique, sous la direction de Jean-Baptiste et Jules Fossin.

J'ai été intrigué par le choix de deux insectes qui reviennent avec insistance dans cette collection, et en particulier dans les bagues et les boucles d'oreilles : les abeilles et les araignées. Pourquoi ce choix ? Ce sont bien évidemment des animaux familiers, et en tant que joaillier de Napoléon, Chaumet se devait de faire un sort à la figure de l'abeille, adoptée par l'empereur comme symbole de pouvoir, d'immortalité et de résurrection, et considérée comme le plus ancien emblème des souverains de la France (on dit que des abeilles d'or - en réalité des cigales - ont été découvertes en 1653 à Tournai dans le tombeau de Childéric Ier, fondateur en 457 de la dynastie mérovingienne et père de Clovis). Bref.

L'abeille et l'araignée sont aussi les deux symboles des deux camps rivaux de la scène littéraire française du XVIIème siècle, les anciens et les modernes. L'essai de Marc fumaroli en préface d'une anthologie publiée chez Folio l'explique très bien. Pour les anciens, selon le modèle de Sénèque,
"il faut imiter les abeilles", c'est-à-dire lire beaucoup d'auteurs, butiner le pollen de plusieurs grands maîtres avant de faire son propre miel. Pour les modernes au contraire, il faut rompre avec le passé, et imiter les araignées qui
"tissent leur toile de leur propre fonds". C'est l'amorce d'une conception de l'homme de lettre comme génie, n'ayant besoin de personne.
Il n'est pas anodin que les boucles d'oreilles (qui vont par deux) ou que les bagues de la collection reprennent l'antagonisme des abeilles et des araignées. Voilà qui cosntruit une dialectique interne à la marque et rajoute une couche imaginaire à la perception des bijoux. Pour des marques de luxe toujours à la recherche des moyens de concilier ou de symboliser le rapport de la tradition et de la modernité, c'est un procédé plutôt subtil, assez bien vu.
Chaumet
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