Les montre Rolex sont comme chacun le sait des montres de luxe de grande valeur. La marque suisse se vante par ailleurs d'avoir notamment mis au point la première montre parfaitement étanche à l'eau et à la poussière ("oyster") et de ce point de vue le choix du corail est intéressant pour symboliser certaines qualités de la montre : sous marin, beau à regarder, robuste et fragile à la fois. Le corail est aussi plus joli à mettre en vitrine que l'huître, bien que celle-ci soit également associée à la culture des perles, mais cela nous éloigne de notre sujet et des montres.
Le corail est un objet symboliquement dense, chargé de sens. Dans la mythologie grecque, le corail est né du sang versé par la Méduse lorsque Persée lui coupa la tête. Le corail est surtout présent dans les cabinets de curiosités au XVIè siècle en Europe, où les princes éclairés collectionnaient quantité d'objets rares, bizarres, cornes d'espadons, carapaces de tortues et crânes humains, dans un bric-à-brac sensé représenter la diversité du monde. Le cabinet de Rodolphe II à Prague ou le Chateau d'ambras à Innsbruck en Autriche sont des exemples particulièrement étudiés de cette volonté de recréer chez soi l'univers en microscosme.


L'intérêt pour le corail dans ce cas là tient à plusieurs raisons.
D'abord, le corail est un exemple de naturalia, de création hautement sophistiquée de la nature, sans intervention humaine. Dans les cabinets pseudo-scientifique où l'on s'efforçait de recréer le monde en miniature, les princes et les savants prenaient plaisir aux associations de coraux (naturalia) avec des petites statuettes ou pièces d'orfèvreries (artificialia) pour se donner l'impression de contempler des condensés de l'univers (voir à ce sujet le bon commentaire de Patrick Mauriès dans son cabinets de curiosités, richement illustré, chez Gallimard). La juxtaposition du corail et de la montre Rolex renouvelle par conséquent une tradition très ancienne d'association du meilleur de la nature et du meilleur de l'homme.
Les images ci-dessus présentent quelques exemples d'oeuvres de ce genre : un oeuf d'autruche monté sur statuette autruche en argent ornée de coraux, par Clément Kicklinger vers 1570, et une statuette réalisée par Wenzel Jamnitzer (vers 1550), le plus grand orfèvre de la Renaissance, représentant Daphné changée en laurier, où le corail est utilisé pour figurer les mains transformées en branches (Ecouen, Musée national de la Renaissance).


Ce n'est pas tout. car le corail a également cette particularité de se tenir dans les intersections de la création, et d'appartenir pour les savants de l'époque à la fois au règne végétal (on dirait une branche d'arbre), minéral (est-ce un rocher ?) et animal (ce qu'il est en réalité, si je ne me trompe pas).
L'intérêt des savants de la Renaissance pour le microcosme et le désir de maîtriser un monde qui soit consistant, harmonieux, où "tout se tient", va de pair avec leur fascination pour les objets-limites, les objets qui témoignent de continuités ou de discontinuités entre les différents règnes de la nature, et qui font obstacle à la volonté classificatrice de l'être humain.
Ici encore, le rapprochement du corail et de la montre érige celle-ci au rang d'objet cosmique (si j'ose dire), qui n'est pas seulement un appareil pour lire l'heure, mais bien davantage l'expression d'une harmonie très spéciale, un objet avec un "coeur", une âme, et qui aspire à autre chose qu'à un destin de babiole exposé dans une vitrine.
Vitrine d'un revendeur Rolex, Rue de Rennes, Paris en 2010
Oeuf d'autruche par Clément Kicklinger
Daphné, ornement de table, Musée National de la Renaissance, Château D'Ecouen, RMN
Lire notamment :
Patrick Mauriès, Cabinets de curiosités, Gallimard
Albertus Seda, Le Cabinet des curiosités naturelles, Taschen
Patricia Falguières, La chambre des merveilles, Bayard