Monday, June 17, 2013

Le déjeuner sur l'herbe

Je préparais un post depuis longtemps sur le sujet, qui inspire visiblement plusieurs marques. La nouvelle image de la série "Secret Garden / Jardin Secret" de Dior à Versailles est une référence trop explicite au Déjeuner sur l'herbe de Edouard Manet pour différer plus longtemps la mise en ligne.































Il reste cependant beaucoup à dire, chez Chanel et Monet et Titien, sur le charme des après-midi bucoliques et champêtres, des fontaines et des nymphes, et j'aimerais beaucoup interroger le photographe de ces campagnes. Dans la photographie de Secret Garden 2 réalisée pour Dior par Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, le parallélisme est quasi total entre les deux images : plan d'eau en arrière plan, les arbres et les personnages. Une différence de taille simplement : ce n'est plus le déjeuner sur l'herbe, mais le déjeuner dans la forêt, dont l'imaginaire est bien sûr différent de celui de la campagne, de la verdure et de la prairie.

Quelques remarques rapidement. Comme dans le déjeuner sur l'herbe, le personnage central en robe rouge qui nous regarde chez Dior se détache franchement du reste de l'image. Emile Zola disait à propos du déjeuner sur l'herbe que l'intérêt principal du tableau n'était pas le sujet mais le choix révolutionnaire de Manet d'avoir peint "un peu de chair blanche" au milieu de la verdure sombre, créant ainsi un contraste chromatique / dramatique du meilleur effet. Chez Dior le procédé est le même, avec le rouge de la robe posé juste à côté des sacs rose et orange.

Autre certitude : les hommes ont disparu. Ils ont été remplacés par deux personnages féminins habillés en costume sombre dont les yeux sont voilés, ce qui contribue d'ailleurs à rendre la scène énigmatique. Cela veut-il dire que (i) la femme en rouge est invisible, et qu'elle est ainsi comme une muse ou une nymphe des forêts, à l'images des deux nymphes que l'on voit dans le concert champêtre de Titien ci dessous ? ou bien que (ii) ce sont les femmes en noir qui sont des figures divines ou inspirées comme la Pythie de Delphes ou bien Tiresias, le devin aveugle, et qui ont pour mission de guider ou de veiller sur le sort du personnage central ? ou bien que (iii) ni l'un ni l'autre, elles ont juste un voile sur les yeux.

















Il y a quelques temps, j'avais songé à rapprocher la publicité Chanel ci-dessus du Concert champêtre de Titien. On y retrouve le double principe de l'éviction des hommes et de l'habillement des femmes. Les femmes, qui étaient des figures tutélaires ou déesse des eaux chez Titien, et qui par conséquent apparaissent nues dans le tableau, mais invisibles des joueurs de musique, sont à présent habillées près de la fontaine, et sont les seules à l'image. Double processus de sécularisation et de féminisation.

Il y a là quelque chose qui mériterait d'être creusé davantage, d'être mieux articulé et nourri avec d'autres images, mais disons juste qu'il n'est pas illogique de la part de ces marques de chercher à mettre en scène la problématique de la visibilité du personnage, de la quête de l'avant plan et des meilleurs moyens d'être vu.
















PS : on retrouve dans les images ci-dessus l'accent mis sur le calme et l’harmonie des après midi à la campagne, loin du bruit de la ville, dans la lumière du soleil. Référence traditionnelle aux poésies bucoliques et à l'imaginaire pastoral, ce qui, naturellement, renvoie aux images traditionnelles du luxe, calme et volupté comme disait l'autre. Chez Dior la connotation est un peu différente car la campagne est baignée d'un climat fantastique, des forêts mystérieuses, qui apporte une note un peu complexe et doucement inquiétante. Signe des temps ou bien évolution lente ? A suivre.












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