Wednesday, November 11, 2009

Madonna, la couleur et la lumière


Louis Vuitton sublime Madonna dans une mise en scène nourrie des apports esthétiques du pop art, de l'art cinétique et des espaces colorés.










Madonna est allongée dans un canapé ou méridienne. Elle porte un ruban dans les cheveux, un sac, une robe. Elle est enveloppée de projections lumineuses qui jouent avec les couleurs de ses vêtements, sa peau, le rideau derrière elle. On a du mal à déterminer si le ruban dans ses cheveux est mauve ou bien éclairé par un spot mauve, si sa robe est rouge ou verte ou bleue ou éclairée en partie par un spot de l'une ou l'autre de ces couleurs.









Le jeu des lumières, des couleurs et des ombres dans l'espace rend difficile l'assignation des couleurs. Louis Vuitton nous a habitué à célébrer les surfaces colorées. Cette fois-ci la couleur n'est pas sur une surface, mais dans l'espace environnant, la couleur est un milieu dans lequel on baigne. De sorte qu'on ne sait pas si la tonalité chromatique que l'on perçoit sur le sujet est une qualité du support ou bien une qualité de l'atmosphère à travers lequel nous le voyons. Les frontières entre ce qui relève de la figure photographiée et du contexte se brouillent, et Madonna elle-même semble méconnaissable sur la plupart des photos.

Ce genre d'effets s'inspire directement du travail des artistes comme Dan Flavin, James Turrell, Olafur elliasson et à travers eux tous ceux qui ont joué avec la couleur lumineuse. Dan Flavin travaille sur les effets d'optiques que les différentes couleurs produisent dans l'espace qui jouxte l'oeuvre, dans l'angle d'une pièce par exemple. La lumière qui émane de l'objet invite à reconsidérer l'espace alentour.














James Turrell travaille à transformer la lumière en matière ou en espace à l'intérieur duquel on peut se promener. En évoquant l'oeuvre de James Turrell, Goerges Didi Huberman a parlé de "l'homme qui marchait dans la couleur". De même on pourrait parler à propos de Madonna de "la femme assise dans la couleur".










Dans le même esprit, Olafur Elliasson aménage des espaces où les visiteurs se promènent et voient les effets de la lumière colorée sur leurs vêtements, sur les autres visiteurs, en fonction de l'angle de vue et de la position dans l'espace.









Tous ces effets rappellent également les impressions chromatiques de l'art cinétique, mises à l'honneur ces jours-ci avec l'exhumation des rushs de l'Enfer de Henri Georges Clouzot avec Romy Schneider. Comme Madonna, l'actrice est éclairée par différents spots de lumière colorée qui tournent autour d'elle, modifient les perceptions de son corps et créent une sorte de vertige pop. Les contours du corps, tantôt vivement éclairés tantôt dans l'ombre, ne semblent plus si affirmés. L'esprit s'interroge sur ce qui relève du sujet et ce qui relève du milieu, provoquant une remise en cause des catégories de la perception.










Outre ce jeu chromatique, on observe dans les photos de la campagne l'accent mis sur les lèvres et surtout les paupières et les cils, vivement colorées en bleu/vert. Ce genre d'effets est un classique de l'esthétique pop art. L'artiste marque son intervention sur une image populaire en y appliquant des couleurs vives qui sont comme des stimuli pour exciter le spectateur. La personne humaine est décorée comme un sapin de Noël, comme une marchandise offerte à la consommation (voir ci dessous les lèvres et les paupières de Lauren Baccall par Andy Wahrol).
























Dans le cas de Madonna, on ne saurait dire exactement s'il s'agit d'un maquillage fluorescent appliqué sur les paupières de la chanteuse, ou bien d'une projection lumineuse à cet endroit précis, ou de la combinaison des deux.













L'ensemble de ces effets esthétiques participe à la construction d'une image particulièrement inventive, certainement parmi les plus intéressante de la saison. La méga star Madonna est noyée dans un halo chromatique qui brouille (en les magnifiant) les formes et les contours, modifie les couleurs et les perceptions jusqu'à une quasi anonymisation. C'est peut-être le comble du luxe de pouvoir prendre une icône comme Madonna et la photographier de telle sorte qu'elle soit presque méconnaissable. Il est vrai qu'il aurait été dangereux pour la marque de se faire voler la vedette.

Bonus : parmi les références plus lointaines, et cela se voit bien dans la façon dont la lumière est violemment projetée sur le visage et laisse une autre moitié dans l'ombre, Louis Vuitton adopte certains des codes des peintres comme Georges de la Tour ou Jacopo Bassano.













Plusieurs siècles après les maîtres de la peinture religieuse, la lumière colorée métallisée où baigne Madonna, accentue les ombres et renforce les contrastes, remplit la même fonction dramatique et sacralisante.
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Campagne Louis Vuitton AH 2009 2010 par Steven Meisel et Marc Jacobs
James Turrell, Prado Red, 1968, Galerie Almine Rech
Dan Flavin, Untitled 1971
Olafur Elliasson, Take your time, Moma New York 2008
Rmy Scheinder dans l'Enfer de Henri Georges Clouzot
Andy Warhol, Lauren Bacall
Andy Warhol, Brigitte Bardot, 1974
Georges de la Tour, Saint Joseph Charpentier, 1640, Musée du Louvre

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