Tuesday, May 09, 2017

Le Dinosaure et le sac à Main : Vanité XXL chez Vuitton

Voici des photos un peu anciennes (juin 2013) de la boutique Louis Vuitton des Champs Élysées, dont l'installation "Muséum d'Histoire naturelle" avait fait grand bruit à l'époque.




























Inspirées des galeries de Paléontologie du Muséum, les vitrines mettent en scène de grands pachydermes préhistoriques au milieu des sacs et des produits de la maison. Un brachiosaure tient un sac dans sa gueule, un stégosaure joue avec des souliers, un mannequin chevauche un vélociraptor pour aller faire des courses. Vous trouverez de meilleures prises de vues ici et .

Cette mise en scène reste à ce jour (à mon avis) la plus belle et la plus poétique des vitrines de cette boutique. Elle met en image plusieurs thèmes importants pour le message de la marque, et pour l'univers du luxe en général :
  1. Sur le rapport entre le primitif et le civilisé
  2. Sur le rapport à l'animal. 
  3. Sur le thème classique de la vanité
Le dinosaure, c'est d'abord l'incarnation de ce que la nature peut faire de plus sauvage et primitif, la force brute par excellence, un stade massif de l'évolution balayé par l'histoire. Placé au milieu des objets de maroquinerie qui symbolisent une certaine forme de civilisation raffinée, la vitrine offre un exemple saisissant de l'image poétique selon le poète André Breton . Dans son Manifeste du Surréalisme (1924), ce dernier cite P. Reverdy : "L'image est une création de l'esprit. Elle ne peut naitre d'une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et poétique..." De ce point de vue, difficile d'imaginer image plus efficace que ce rapprochement des grands lézards sauvages et des accessoires de mode.

Les publicités de luxe mettent souvent en scène des animaux, pour leurs qualités d'évocations multiples : la solidité, la fidélité, la proximité, etc... Dans ce remake des fables de la Fontaine par Louis Vuitton, le dinosaure est évidemment super robuste, super exotique et précieux (encore plus fort que les plumes de perroquet, de paon et d'oiseaux divers si souvent présent chez Gucci ou Prada)), il connote la force sauvage, non domestiquée (encore plus fort que la panthère ou le tigre chez Cartier) et la plus incroyable création de la nature et de la vie, avec laquelle l'objet de luxe tente toujours secrètement de rivaliser. Il a le mérite enfin de conjurer les violences faites aux animaux, crocodiles, moutons, veaux et vaches dont on récupère le cuir et la peau pour en faire des sacs et des chaussures : avec le Dinosaure pas de risque de se faire accuser d'avoir tué pour son bon plaisir.

Surtout, le squelette de dinosaure reprend naturellement à son compte, pour l'amplifier, le thème archi classique de la vanité, sous souvent présent dans les publicités pour des marques de luxe. La représentation de miroirs, de bougies, de natures mortes et plus rarement de crânes humains, rappelle l'inéluctabilité du temps qui passe : Memento Mori, souviens-toi que tu vas mourir, souviens-toi que la beauté est éphémère, ne t'attache pas trop aux choses matérielles car tout passe et rien ne dure.Voir ci-dessous la Vanité de Philippe de Champaigne :















Ce message traditionnel permet de conjurer la fascination pour "tout ce qui brille" et d'éviter l'écueil de superficialité en ajoutant un message à connotation culturelle ou spirituelle. Il est ici porté à l'extrême, comme si une grande marque de luxe se devait aussi d'avoir une image de vanité à sa mesure. Le petit crâne humain si souvent représenté dans les peintures de l'âge classique ne suffit plus, on le remplace par un pachyderme entier, une créature immense qui occupe toute la scène, disparue depuis des millions d'années, pour porter la vanité au carré, et transposer le Memento Mori de l'échelle humaine à l'échelle cosmique. 

Une autre vanité chez Louis Vuitton, voir ici







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