Wednesday, May 10, 2017
Chanel et l'esthétique des ruines (Post à venir)
J'avais déjà évoqué ici le goût d Chanel pour l'esthétique des ruines et la mise en rapport des créations de la marque avec les monuments légués par l'histoire, abîmés par le temps - comme un contraste saisissant entre la mode éphémère et le goût de l'éternité. On va y revenir.
En attendant, voir la page du site Chanel News
Madonna Van Dongen (Post à venir)
Il y a quelques temps j'avais proposé une lecture de cette affiche de Steven Meisel pour Louis Vuitton, où le photographe joue des effets de lumières et reprend les codes du pop art et du luminisme. A lire ici.

Il apparait clairement que cette Femme au grand Chapeau de l'artiste Van Dongen entre dans le champ visuel de cette campagne - et permet d'en dégager le sens. Je ne connaissais pas ce tableau et je le découvre à l'occasion de l'exposition du Musée Jacquemart André, De Zurbaran à Rothko. Collection Alicia Koplowitz,

Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/lara-stone-au-bois-damour-ophelie-post.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2011/04/le-mouvement-de-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2012/05/la-joconde-de-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/le-dinosaure-et-le-sac-main-vanite-xxl.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/02/vanite-chez-louis-vuitton.html

Il apparait clairement que cette Femme au grand Chapeau de l'artiste Van Dongen entre dans le champ visuel de cette campagne - et permet d'en dégager le sens. Je ne connaissais pas ce tableau et je le découvre à l'occasion de l'exposition du Musée Jacquemart André, De Zurbaran à Rothko. Collection Alicia Koplowitz,

Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/lara-stone-au-bois-damour-ophelie-post.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2011/04/le-mouvement-de-louis-vuitton.html
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Tuesday, May 09, 2017
Hermès dans la forêt magique
Dans cette splendide Campagne Hermès (Hiver 2016), le personnage (Laetitia Catzeflis) s'avance, seule, dans une forêt de bouleaux. Le paysage immaculé, sous l'oeil du photographe Japonais Yoshihiko Ueda, dégage une forte impression de sérénité, de calme et de mystère (que fait-elle ? ou va-t-elle ? que regarde-t-elle ?).
Sur la photo ci-dessous, cette impression d'énigme est encore plus nette, car l'éloignement du photographe (assez étrange dans un univers où l'on est censé valoriser le gros plan et la mise en scène du produit) construit le sentiment que l'on suit le personnage à distance, comme si on l'avait pris en filature, sans bien comprendre son itinéraire, et sans vouloir se faire remarquer.
Les photos évoquent clairement l'oeuvre de Maurice Denis (ci-dessous, Paysage aux arbres verts), mise à l'honneur en ce moment dans l'exposition du Musée d'Orsay sur le paysage mystique et témoignent du goût de la marque pour la spiritualité de la nature.
Ces images reprennent le thème des Correspondances de Baudelaire, où la nature détient le pouvoir de transporter l'âme et les sens de ceux qui apprennent à parler son langage mystérieux ("La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles / L'homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l'observent avec des regards familiers).
Selon la notice du Musée d'Orsay, dans le tableau de Maurice Denis le paysage d'une forêt de Loctudy sert de cadre à "une cérémonie quasi onirique où une jeune fille se détache d'une procession pour aller à la rencontre d'un angle" situé derrière un muret - il s'agit d'une allégorie de la Vocation dans une forêt magique, qui mobilise le souvenir des contes celtiques, de la légende du Roi Arthur dans la forêt de Brocéliande peuplée de Korrigans, de petits diables et d'enchanteurs. La nature n'est pas muette : elle est peuplée d'esprits pour qui sait les entendre.
Il est tout à fait clair qu'Hermès entretient un rapport très étroit avec la spiritualité : dans la mythologie Hermès est le messager des dieux, qui établit la communication entre la terre et l'au-delà. Les campagnes de parfums de la marque mettent aussi très souvent en scène cette communication avec les sphères supérieures, par le mouvement ascensionnel de feux d'artifices (Eau des merveilles), ou des nuages qui montent au ciel (Terre d'Hermès), etc.
Avec la campagne de la marque "au fond des bois", l'atmosphère mystique est accentuée par certains plans comme celui-ci dessous de la main posée sur l'écorce de l'arbre, où le personnage tente une communion ou un dialogue avec la nature, au plus près du règne végétal...

... et plus encore dans les deux images ci-dessous, où la prise de vue est telle qu'on dirait que le personnage disparait littéralement derrière l'arbre, comme s'il avait trouvé la porte d'accès à un monde parallèle.


La forêt magique ouvre des portes vers l'inconnu et la fréquentation de la marque se fait clairement sous le mode de l’initiation. Un autre jour nous parlerons de l'Ours, figure totémique par excellence des cultures du grand nord, dont on rejoue ici la scène de la poursuite en forêt, sous une forme ludique et poétique, par la grâce d'un carré de Soie.
lire d'autres articles sur Hermès:
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/12/allegorie-de-la-noblesse-par-hermes.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/le-portrait-equestre-selon-hermes.html

Sur la photo ci-dessous, cette impression d'énigme est encore plus nette, car l'éloignement du photographe (assez étrange dans un univers où l'on est censé valoriser le gros plan et la mise en scène du produit) construit le sentiment que l'on suit le personnage à distance, comme si on l'avait pris en filature, sans bien comprendre son itinéraire, et sans vouloir se faire remarquer.
Les photos évoquent clairement l'oeuvre de Maurice Denis (ci-dessous, Paysage aux arbres verts), mise à l'honneur en ce moment dans l'exposition du Musée d'Orsay sur le paysage mystique et témoignent du goût de la marque pour la spiritualité de la nature.

Ces images reprennent le thème des Correspondances de Baudelaire, où la nature détient le pouvoir de transporter l'âme et les sens de ceux qui apprennent à parler son langage mystérieux ("La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles / L'homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l'observent avec des regards familiers).
Selon la notice du Musée d'Orsay, dans le tableau de Maurice Denis le paysage d'une forêt de Loctudy sert de cadre à "une cérémonie quasi onirique où une jeune fille se détache d'une procession pour aller à la rencontre d'un angle" situé derrière un muret - il s'agit d'une allégorie de la Vocation dans une forêt magique, qui mobilise le souvenir des contes celtiques, de la légende du Roi Arthur dans la forêt de Brocéliande peuplée de Korrigans, de petits diables et d'enchanteurs. La nature n'est pas muette : elle est peuplée d'esprits pour qui sait les entendre.
Il est tout à fait clair qu'Hermès entretient un rapport très étroit avec la spiritualité : dans la mythologie Hermès est le messager des dieux, qui établit la communication entre la terre et l'au-delà. Les campagnes de parfums de la marque mettent aussi très souvent en scène cette communication avec les sphères supérieures, par le mouvement ascensionnel de feux d'artifices (Eau des merveilles), ou des nuages qui montent au ciel (Terre d'Hermès), etc.
Avec la campagne de la marque "au fond des bois", l'atmosphère mystique est accentuée par certains plans comme celui-ci dessous de la main posée sur l'écorce de l'arbre, où le personnage tente une communion ou un dialogue avec la nature, au plus près du règne végétal...

... et plus encore dans les deux images ci-dessous, où la prise de vue est telle qu'on dirait que le personnage disparait littéralement derrière l'arbre, comme s'il avait trouvé la porte d'accès à un monde parallèle.


La forêt magique ouvre des portes vers l'inconnu et la fréquentation de la marque se fait clairement sous le mode de l’initiation. Un autre jour nous parlerons de l'Ours, figure totémique par excellence des cultures du grand nord, dont on rejoue ici la scène de la poursuite en forêt, sous une forme ludique et poétique, par la grâce d'un carré de Soie.
lire d'autres articles sur Hermès:
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/12/allegorie-de-la-noblesse-par-hermes.html
Lara Stone au bois d'amour (Ophélie) - Post à venir
Sur cette belle affiche de Steven Meisel pour Louis Vuitton, plusieurs thèmes se croisent. Lara Stone est couchée dans les herbes, entourée de colombes, et se fond presque dans le paysage de couleurs vert, bruns, kaki.

La scène évoque, par ses couleurs et par son cadre, le tableau célèbre Ophélia, de John Everrett Millais, fondateur du mouvement pré-raphaelite en angleterre au 19ème siècle.
Par sa pose alanguie et la position des bras, la nuque en arrière, la scène évoque aussi cet autre tableau, sur le même thème d'Ophélie.
Elle évoque enfin aussi le beau tableau d'Emile Bernard, Madeleine au Bois d'Amour, que l'on peut voir actuellement au Musée d'Orsay dans l'exposition sur le Paysage mystique. La présence des colombes renforce à mon avis la tonalité mystérieuse de la scène, qui est une forme de communion avec la nature, au plus profond de la forêt, là où la magie opère.
A noter que Steven Meisel est visiblement intéressé par l'atmosphère préraphaélite puisque dans un numéro de Vogue (décembre 2011), il avait déjà repris, pour un autre cliché, cette même filiation, soulignée ici par le blog Part Nouveau.
Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/02/vanite-chez-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/madonna-van-dongen-post-venir.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2011/04/le-mouvement-de-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2012/05/la-joconde-de-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/le-dinosaure-et-le-sac-main-vanite-xxl.html

La scène évoque, par ses couleurs et par son cadre, le tableau célèbre Ophélia, de John Everrett Millais, fondateur du mouvement pré-raphaelite en angleterre au 19ème siècle.
Par sa pose alanguie et la position des bras, la nuque en arrière, la scène évoque aussi cet autre tableau, sur le même thème d'Ophélie.
Elle évoque enfin aussi le beau tableau d'Emile Bernard, Madeleine au Bois d'Amour, que l'on peut voir actuellement au Musée d'Orsay dans l'exposition sur le Paysage mystique. La présence des colombes renforce à mon avis la tonalité mystérieuse de la scène, qui est une forme de communion avec la nature, au plus profond de la forêt, là où la magie opère.
A noter que Steven Meisel est visiblement intéressé par l'atmosphère préraphaélite puisque dans un numéro de Vogue (décembre 2011), il avait déjà repris, pour un autre cliché, cette même filiation, soulignée ici par le blog Part Nouveau.
Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/02/vanite-chez-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/madonna-van-dongen-post-venir.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2011/04/le-mouvement-de-louis-vuitton.html
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Motif camouflage chez Dior
La boutique Dior de l'avenue Montaigne présente ici un arrière-plan coloré aux formes indistinctes, noires, rouges et bleues, qui estompent les contours des objets qui y sont exposés.



L'ambiance évoque d'emblée le style camouflage militaire, dont on aurait modifié les teintes.
La vitrine est aussi un clin d'oeil relativement évident au peintre Miro, célèbre pour ses formes libres et enfantines, d'allure spontanée, qui expriment la fantaisie, l'audace et comme l'artiste le disait lui-même, "le mouvement immobile" (ci-dessous Joan Miro, La ferme (1921-1922), National Gallery, Washington.)

Il me semble aussi que la vitrine est un exemple d'une tendance à l'effacement de la figure humaine dans la publicité. Chez Dior les mannequins ne se détachent quasiment plus sur le fond de camouflage, ils se fondent littéralement dans l'espace. Seuls les objets surnagent encore, par le contraste des formes et des couleurs, mais la figure humaine, corps et visage, tend à disparaitre et s'effacer. Dans d'autres marques, notamment dans la mode, on trouve aussi des exemples de visages coupés par le cadrage, de visages cachés par des cheveux ou de personnages qui ressemblent à des robots ou des statuts de cire. Le critique Jean Clair a parlé de l'effacement du visage humain dans la peinture des avant-garde du 20ème siècle et dans l'abstraction comme d'un signe annonciateur des totalitarismes du milieu du siècle dernier. Voir son magnifique recueil Autoportrait au visage absent, chez Gallimard. La posture anti-humaniste de l'art aurait été le signe avant-coureur de la barbarie. Sans aller jusque dans cette interprétation extrême, l'effacement du corps et de la figure humaine dans la vitrine Dior (qui plus est avenue Montaigne, père de l'humanisme français), n'est quand même pas très bon signe…
L'ambiance évoque d'emblée le style camouflage militaire, dont on aurait modifié les teintes.
La vitrine est aussi un clin d'oeil relativement évident au peintre Miro, célèbre pour ses formes libres et enfantines, d'allure spontanée, qui expriment la fantaisie, l'audace et comme l'artiste le disait lui-même, "le mouvement immobile" (ci-dessous Joan Miro, La ferme (1921-1922), National Gallery, Washington.)

Il me semble aussi que la vitrine est un exemple d'une tendance à l'effacement de la figure humaine dans la publicité. Chez Dior les mannequins ne se détachent quasiment plus sur le fond de camouflage, ils se fondent littéralement dans l'espace. Seuls les objets surnagent encore, par le contraste des formes et des couleurs, mais la figure humaine, corps et visage, tend à disparaitre et s'effacer. Dans d'autres marques, notamment dans la mode, on trouve aussi des exemples de visages coupés par le cadrage, de visages cachés par des cheveux ou de personnages qui ressemblent à des robots ou des statuts de cire. Le critique Jean Clair a parlé de l'effacement du visage humain dans la peinture des avant-garde du 20ème siècle et dans l'abstraction comme d'un signe annonciateur des totalitarismes du milieu du siècle dernier. Voir son magnifique recueil Autoportrait au visage absent, chez Gallimard. La posture anti-humaniste de l'art aurait été le signe avant-coureur de la barbarie. Sans aller jusque dans cette interprétation extrême, l'effacement du corps et de la figure humaine dans la vitrine Dior (qui plus est avenue Montaigne, père de l'humanisme français), n'est quand même pas très bon signe…
Le Dinosaure et le sac à Main : Vanité XXL chez Vuitton
Voici des photos un peu anciennes (juin 2013) de la boutique Louis Vuitton des Champs Élysées, dont l'installation "Muséum d'Histoire naturelle" avait fait grand bruit à l'époque.

Inspirées des galeries de Paléontologie du Muséum, les vitrines mettent en scène de grands pachydermes préhistoriques au milieu des sacs et des produits de la maison. Un brachiosaure tient un sac dans sa gueule, un stégosaure joue avec des souliers, un mannequin chevauche un vélociraptor pour aller faire des courses. Vous trouverez de meilleures prises de vues ici et là.
Cette mise en scène reste à ce jour (à mon avis) la plus belle et la plus poétique des vitrines de cette boutique. Elle met en image plusieurs thèmes importants pour le message de la marque, et pour l'univers du luxe en général :
Les publicités de luxe mettent souvent en scène des animaux, pour leurs qualités d'évocations multiples : la solidité, la fidélité, la proximité, etc... Dans ce remake des fables de la Fontaine par Louis Vuitton, le dinosaure est évidemment super robuste, super exotique et précieux (encore plus fort que les plumes de perroquet, de paon et d'oiseaux divers si souvent présent chez Gucci ou Prada)), il connote la force sauvage, non domestiquée (encore plus fort que la panthère ou le tigre chez Cartier) et la plus incroyable création de la nature et de la vie, avec laquelle l'objet de luxe tente toujours secrètement de rivaliser. Il a le mérite enfin de conjurer les violences faites aux animaux, crocodiles, moutons, veaux et vaches dont on récupère le cuir et la peau pour en faire des sacs et des chaussures : avec le Dinosaure pas de risque de se faire accuser d'avoir tué pour son bon plaisir.
Surtout, le squelette de dinosaure reprend naturellement à son compte, pour l'amplifier, le thème archi classique de la vanité, sous souvent présent dans les publicités pour des marques de luxe. La représentation de miroirs, de bougies, de natures mortes et plus rarement de crânes humains, rappelle l'inéluctabilité du temps qui passe : Memento Mori, souviens-toi que tu vas mourir, souviens-toi que la beauté est éphémère, ne t'attache pas trop aux choses matérielles car tout passe et rien ne dure.Voir ci-dessous la Vanité de Philippe de Champaigne :

Ce message traditionnel permet de conjurer la fascination pour "tout ce qui brille" et d'éviter l'écueil de superficialité en ajoutant un message à connotation culturelle ou spirituelle. Il est ici porté à l'extrême, comme si une grande marque de luxe se devait aussi d'avoir une image de vanité à sa mesure. Le petit crâne humain si souvent représenté dans les peintures de l'âge classique ne suffit plus, on le remplace par un pachyderme entier, une créature immense qui occupe toute la scène, disparue depuis des millions d'années, pour porter la vanité au carré, et transposer le Memento Mori de l'échelle humaine à l'échelle cosmique.
Une autre vanité chez Louis Vuitton, voir ici
Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/lara-stone-au-bois-damour-ophelie-post.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2011/04/le-mouvement-de-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2012/05/la-joconde-de-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/02/vanite-chez-louis-vuitton.html

Inspirées des galeries de Paléontologie du Muséum, les vitrines mettent en scène de grands pachydermes préhistoriques au milieu des sacs et des produits de la maison. Un brachiosaure tient un sac dans sa gueule, un stégosaure joue avec des souliers, un mannequin chevauche un vélociraptor pour aller faire des courses. Vous trouverez de meilleures prises de vues ici et là.
Cette mise en scène reste à ce jour (à mon avis) la plus belle et la plus poétique des vitrines de cette boutique. Elle met en image plusieurs thèmes importants pour le message de la marque, et pour l'univers du luxe en général :
- Sur le rapport entre le primitif et le civilisé
- Sur le rapport à l'animal.
- Sur le thème classique de la vanité
Les publicités de luxe mettent souvent en scène des animaux, pour leurs qualités d'évocations multiples : la solidité, la fidélité, la proximité, etc... Dans ce remake des fables de la Fontaine par Louis Vuitton, le dinosaure est évidemment super robuste, super exotique et précieux (encore plus fort que les plumes de perroquet, de paon et d'oiseaux divers si souvent présent chez Gucci ou Prada)), il connote la force sauvage, non domestiquée (encore plus fort que la panthère ou le tigre chez Cartier) et la plus incroyable création de la nature et de la vie, avec laquelle l'objet de luxe tente toujours secrètement de rivaliser. Il a le mérite enfin de conjurer les violences faites aux animaux, crocodiles, moutons, veaux et vaches dont on récupère le cuir et la peau pour en faire des sacs et des chaussures : avec le Dinosaure pas de risque de se faire accuser d'avoir tué pour son bon plaisir.
Surtout, le squelette de dinosaure reprend naturellement à son compte, pour l'amplifier, le thème archi classique de la vanité, sous souvent présent dans les publicités pour des marques de luxe. La représentation de miroirs, de bougies, de natures mortes et plus rarement de crânes humains, rappelle l'inéluctabilité du temps qui passe : Memento Mori, souviens-toi que tu vas mourir, souviens-toi que la beauté est éphémère, ne t'attache pas trop aux choses matérielles car tout passe et rien ne dure.Voir ci-dessous la Vanité de Philippe de Champaigne :

Ce message traditionnel permet de conjurer la fascination pour "tout ce qui brille" et d'éviter l'écueil de superficialité en ajoutant un message à connotation culturelle ou spirituelle. Il est ici porté à l'extrême, comme si une grande marque de luxe se devait aussi d'avoir une image de vanité à sa mesure. Le petit crâne humain si souvent représenté dans les peintures de l'âge classique ne suffit plus, on le remplace par un pachyderme entier, une créature immense qui occupe toute la scène, disparue depuis des millions d'années, pour porter la vanité au carré, et transposer le Memento Mori de l'échelle humaine à l'échelle cosmique.
Une autre vanité chez Louis Vuitton, voir ici
Lire ici d'autres papiers sur Louis Vuitton :
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2017/05/lara-stone-au-bois-damour-ophelie-post.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/10/madonna-le-luminisme-et-le-pop-art.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2010/05/dior-vuitton-loptical-art-et-le-decor.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2011/04/le-mouvement-de-louis-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2012/05/la-joconde-de-vuitton.html
http://lartetlesmarques.blogspot.fr/2009/02/vanite-chez-louis-vuitton.html
Tuesday, March 15, 2016
Le portrait du Titien par Lancel
Campagne de Lancel pour l'automne 2015 : une série de portraits sur fond uni, très sobre, figure vue de profil avec le bras accoudé enserrant un sac à main.
La pose des modèles rappelle le splendide "portrait en bleu" du Titien, dit Portrait de l'Arioste (exposé à la National Gallery de Londres), en particulier dans la position du bras, le regard face spectateur, la posture très digne, très aristocratique, et jusqu'à la balustrade (bureau ou table) sur laquelle les personnages sont accoudés. La structure des images est assez proche, en forme de "L" (première lettre du nom de la marque) du sommet du crane à l'extrémité de la main en passant par le coude.
Chez Titien, le personnage tient dans ses mains un livre, presque soustrait au regard du spectateur. Lancel a remplacé le livre par un sac à main, davantage en évidence, mais la logique est la même : le bras marque à la fois la propriété jalouse sur l'objet, et aussi le mouvement de celui (ou celle) qui s'apprête à se lever et partir avant de s'arrêter juste un instant, comme une dernière faveur, pour regarder ou écouter qui se tient devant lui.
La tête et le regard sont encore tournés vers le spectateur, mais tout le reste du corps est ailleurs. Façon de suggérer le passage des êtres et du temps, le mouvement suspendu, mais aussi le fossé qui sépare deux mondes : monde de la représentation et espace réel, monde du luxe et vie de tous les jours. En plus de la balustrade, le bras fait office de deuxième barrière entre le modèle et nous, comme pour accentuer la séparation - nous n'avons pas les mêmes valeurs. Le regard perçant, dur, chirurgical, renforce le sentiment d'être dévisagé par celui-là même que nous regardons. Pas d'empathie, pas de séduction : de la dignité et de la distinction avant tout.
P.S. Les manches matelassées et bouffantes du portrait de Titien semblent avoir fait leur réapparition dans un autre portrait de cette série de Lancel, sous une forme plus contemporaine, sur le site internet. La posture de profil a disparu, cette fois-ci le corps est vu de face - c'est vrai que nous sommes sur le site Internet, on est entre amis.
Photomontage de Céline, entre Bacon et Hannah Höch
Une série d'affiches de la campagne automne/hiver 2015/2016 de la marque Céline présente les mannequins sur fond orange, dans plusieurs postures.
En réalité ce ne sont pas des photos de mannequins, mais des photomontages d'images découpées de mannequins. On a pris une photo, on l'a imprimée puis découpée pour ensuite la coller sur l'affiche finale sur fond uni (ici orange, mais il existe en bleu et jaune).
Un personnage s'appuie l'avant bras sur un meuble ou un objet qui a disparu, un autre est assis sur un banc. Les silhouettes sont découpées grossièrement, comme au ciseau, et l'on devine encore certains contours de la photo d'origine (entre les jambes de la femme debout, abords du cou de la femme assise).
L'une des deux poses parait naturelle et décontractée. L'autre est plus artificielle, jambes largement écartées, bras sur la cuisse, tête relevée, sac tenu du bout des doigts dans une position assez inconfortable à première vue.
La campagne évoque d'abord, par certains aspects, les constructions du peintre Francis Bacon, notamment son fameux Trois études de figures au pied d'une Crucifixion (1944, Londres, Tate Gallery) et son Triptyque 1983.
Le fond orange monochrome, les figures brutales, contorsionnées, rendent quelque chose du refus de Céline de donner une image propre, léchée et ostensiblement séductrice ou aguicheuse, que l'on retrouve dans trop de campagnes de mode. Le style Céline, avec des photographies à la lumière crue, pas tant réaliste que franche, directe, un peu brutale et heurtée, tranche avec l'esthétique euphorique et proprette, ronde et pulpeuse qui peuple tant de magazines.
Contrairement à Bacon chez qui l'on trouve une énergie vraiment organique, avec des chairs, des bouches, des contorsions des corps, Céline adopte un style plus anguleux, découpé, heurté, avec des angles droits et des bouts pointus, notamment sur les genoux et les coudes. Dans un univers de la mode dominée par les mouvements et les courbes du corps, Céline préfère les angles droits de l'architecture et des coups de ciseaux. On y retrouve aussi l'inspiration de l'artiste Hannah Höch, adepte du découpage / collage, comme dans l'exemple ci-dessous, Dans le Musée Ethnographique, toujours avec le même fond orange.
Contrairement à Bacon chez qui l'on trouve une énergie vraiment organique, avec des chairs, des bouches, des contorsions des corps, Céline adopte un style plus anguleux, découpé, heurté, avec des angles droits et des bouts pointus, notamment sur les genoux et les coudes. Dans un univers de la mode dominée par les mouvements et les courbes du corps, Céline préfère les angles droits de l'architecture et des coups de ciseaux. On y retrouve aussi l'inspiration de l'artiste Hannah Höch, adepte du découpage / collage, comme dans l'exemple ci-dessous, Dans le Musée Ethnographique, toujours avec le même fond orange.
Hannah Höch (dont j'ignorais l'existence il y a encore deux jours, donc mea culpa des bêtises que je pourrais dire), est une artiste de la république de Weimar, membre du mouvement Dada qui se retire de la vie publique au moment de l'arrivée au pouvoir d'Hitler (1933). Ses œuvres font partie du Slideshow que Vogue consacre à Phoebe Philo sur son site, il s'agit sans doute d'une artiste qu'apprécie la Directrice artistique de Céline. On leur trouve aisément des points communs. Hannah Höch est militante anti-guerre, anti concession, son goût du découpage est à la fois une manière de tailler dans le vif des conventions (idéal de la féminité nazie, hétérosexualité...), et le moyen de créer des liens nouveaux entre des objets, des cultures et des formes (ce qui est aussi une manière de s'opposer à la manie de la classification et de la ségrégation raciale propre au Reich). La campagne Céline reprend un peu de cette force subversive, comme manière de revenir au sujet principal, le vêtement, en évacuant et en dénonçant à la fois tout le barnum contextuel qui se substitue trop souvent à lui.
Hannah Höch a fait l'objet d'une exposition à la Whitechapel Gallery de Londres en 2014 (en savoir plus avec un très beau papier ici et ici)
Hannah Höch a fait l'objet d'une exposition à la Whitechapel Gallery de Londres en 2014 (en savoir plus avec un très beau papier ici et ici)
La main de Dieu chez Tod's
Sur cette image (un peu ancienne maintenant) du site Internet de la marque Tod's, une main (d'homme) sort d'une boite orange comme suspendue au plafond et s'accroche à un sac (de femme) de couleur mauve, sur fond bleu clair.
Dans cette mise en scène assez énigmatique, il n'est pas clair si :
1) la main descend de la boite avec un sac qu'elle s'apprête à déposer sur le sol (mais il n'y a pas de sol)
2) la main remonte dans sa boite en emportant avec elle un sac attrapé plus bas.
3) la main tient simplement le sac suspendu, à la manière d'un lustre ou d'un porte manteau.
Ce procédé s'approche en revanche assez clairement de la représentation traditionnelle de Dieu dans l'imagerie chrétienne des premiers siècles, où le tout puissant est symbolisé par une main descendue du ciel. Cette image de la "main de dieu", archi courante notamment dans les mosaïques des églises paléochrétiennes en Italie, permet d'éviter (un peu) l'écueil de l'anthropomorphisme, tout en symbolisant les notions de puissance, de lien entre le ciel et la terre (main de Dieu tendue vers Moïse, bras sortant des nuages pour bénir, ou stopper Abraham sur le point de sacrifier Isaac, etc).
Dans le cas de Tod's, la main représente peut-être le tout puissant créateur faisant descendre du ciel le sac à main comme une sorte de cadeau divin. Il s'agit peut-être aussi d'une extrême valorisation de la main et du "fait main" si absolue qu'elle efface même le reste du corps. Ce qui paraît manifeste en revanche, c'est le processus de désincarnation et l'effacement de la personne (assez nouveau pour une marque de Luxe en général soucieuse de cultiver une proximité avec l'être humain et l'harmonie d'une silhouette qui n'est pas simplement l'agencement de morceaux de corps démembré).
J'aurais aimé pensé qu'il s'agit d'une mise en retrait du créateur (ou du vendeur) à la fois tout puissant démiurge et invisible derrière l'objet mis en vedette, mais la cliente subit le même traitement, et n'existe plus que par ses bras et jambes dans la devanture d'une des boutiques de la marque.
S'agissant de Tod's, qui est d'abord une marque de souliers, c'est sans doute une façon de dire que le sac est à la main ce que la chaussure est au pied. A chaque partie du corps son accessoire finalement - ce qui pousse la logique à son comble car les bras et les jambes deviennent, à leur tour, des accessoires et des objets périphériques d'un corps dont la marque ne s'occupe pas. Façon de dire aussi que pour obtenir le sac en question, il faudra faire des pieds et des mains.
Plus d'infos sur la représentation de la main de dieu Ici.
Monday, July 22, 2013
La danseuse de Repetto
L'affiche de la campagne du premier parfum Repetto met en scène la danseuse étoile Dorothée Gilbert sous l’œil du photographe James Bort.
Une première remarque : Repetto choisit de présenter la danseuse assise plutôt que debout ou dans l'effort. Ce choix exprime certainement l'envie de signifier l'univers des coulisses, de la préparation, et le personnage est logiquement présenté dans sa loge, avec le miroir et le reste (dans le lieu où normalement on se met du parfum, c'est logique). Ce choix exprime aussi (peut-être) l'idée qu'on s'adresse à un public qui ne fait pas forcément de la danse, qui ne porte pas non plus forcément les chaussures, mais qui gravite à la périphérie de cet univers, qui s'y intéresse et qui vit par conséquent dans les marges d'un monde auquel Repetto promet de leur faire accéder, fût-ce par procuration.
L'affiche mettant en scène une danseuse en ballerine et en tutu fait, presque mécaniquement, penser aux nombreux croquis réalisés par Edgar Degas ou bien Toulouse Lautrec, également fascinés par l'univers de la danse.
L'affiche mettant en scène une danseuse en ballerine et en tutu fait, presque mécaniquement, penser aux nombreux croquis réalisés par Edgar Degas ou bien Toulouse Lautrec, également fascinés par l'univers de la danse.
James Bort évoque aussi l'influence de Edward Hopper parmi ses inspirations artistiques pour ce cliché.On y retrouve effectivement quantité de jeunes et moins jeunes femmes assises, dans des loges, dans chambres d'hôtel, avec cette atmosphère de temps suspendu, intemporelle, silencieuse, dans laquelle baigne également Dorothée Gilbert.

Le rapport à la peinture est rendu encore plus sensible par le grain de la photo et les effets de flou (notamment sur le visage, et par endroits la photo ressemble effectivement à un pastel, c'est assez net lorsqu'on l'observe dans un abribus) et par le cadre blanc qui entoure le visuel.
Plusieurs différences significatives frappent aussitôt dans le choix de Repetto.
Par rapport à Degas, on note tout de suite que lorsque le peintre décide de présenter ses personnages assis, il montre des corps pliés, laçant leurs chaussons, jambes écartées, tête penchée vers le sol, des corps parfois avachis dans le cas de Toulouse Lautrec. Il y a une dichotomie entre le corps tendus et ouvert sur scène et le corps vouté, fatigué, replié dans les coulisses. Le temps de la préparation ou l'espace des loges sont consacrés à l'échauffement, à l'étirement, ou bien au repos. Cette rupture est parfois mis en scène dans les reportages sur la danse où l'on filme des danseuses sur scène, évoluant tout sourire avec une incroyable légèreté et puis la caméra les suit jusque dans les coulisses, où tout à coup les athlètes reprennent leur souffle comme des marathoniens après l'arrivée, la tête penchée, les mains posées sur les cuisses ou les genoux.
Chez Degas, pour voir des corps nobles et des regards levés vers le ciel, il faut que la danseuse soit sur scène. Chez Repetto, même dans les coulisses, le corps de la danseuse est maintenu, la tête vers le ciel, le costume impeccable, les pieds en pointe. On dirait qu'elle rêve. Curieusement, la jeune femme tourne la tête en direction de la droite et justement le cadrage de la photographie fait que les vêtements accrochés au mur à cet endroit là suggèrent la forme d'un personnage debout, avec le bas gris (qui est en fait en rideau) et le peignoir blanc en guise de tutu.

Le rapport à la peinture est rendu encore plus sensible par le grain de la photo et les effets de flou (notamment sur le visage, et par endroits la photo ressemble effectivement à un pastel, c'est assez net lorsqu'on l'observe dans un abribus) et par le cadre blanc qui entoure le visuel.
Plusieurs différences significatives frappent aussitôt dans le choix de Repetto.
Par rapport à Degas, on note tout de suite que lorsque le peintre décide de présenter ses personnages assis, il montre des corps pliés, laçant leurs chaussons, jambes écartées, tête penchée vers le sol, des corps parfois avachis dans le cas de Toulouse Lautrec. Il y a une dichotomie entre le corps tendus et ouvert sur scène et le corps vouté, fatigué, replié dans les coulisses. Le temps de la préparation ou l'espace des loges sont consacrés à l'échauffement, à l'étirement, ou bien au repos. Cette rupture est parfois mis en scène dans les reportages sur la danse où l'on filme des danseuses sur scène, évoluant tout sourire avec une incroyable légèreté et puis la caméra les suit jusque dans les coulisses, où tout à coup les athlètes reprennent leur souffle comme des marathoniens après l'arrivée, la tête penchée, les mains posées sur les cuisses ou les genoux.
Chez Degas, pour voir des corps nobles et des regards levés vers le ciel, il faut que la danseuse soit sur scène. Chez Repetto, même dans les coulisses, le corps de la danseuse est maintenu, la tête vers le ciel, le costume impeccable, les pieds en pointe. On dirait qu'elle rêve. Curieusement, la jeune femme tourne la tête en direction de la droite et justement le cadrage de la photographie fait que les vêtements accrochés au mur à cet endroit là suggèrent la forme d'un personnage debout, avec le bas gris (qui est en fait en rideau) et le peignoir blanc en guise de tutu.
La danseuse Repetto n'a pas non plus du tout l'air mélancolique ou absent qui caractérise les personnages de Hopper. On est dans le positif, le visage est dégagé, lumineux, souriant, la tenue est bien mise, le corps est ferme, le chignon impeccable, tout est nickel, la danseuse étoile ne se repose pas, c'est blanc, rose, féminin, sage. Aussitôt qu'on a mis le parfum, on est déjà sur scène, peut importe qu'on soit dans la loge ou dans la salle de bains.
Au-delà de ces télescopages et glissements opérés par rapport à la représentation de la jeune danseuse assise, l'image de Repetto est aussi un discours sur la marque : emblème d'un certaine tradition (danse classique, costume de scène, le parquet, les moulures, les boiseries, la table en bois, un veux cadre en bronze doré qui ressemble à une vieille photo - Rose Repetto peut-être ? - régularité des lignes des boiseries et de la table)... une certaine tradition qui rêve de l'avenir ou s'apprête à s'élancer au-delà.
L'axe du corps du personnage trace une ligne transversale qui coupe le visuel en deux et construit un mouvement ascendant du coin inférieur gauche vers le coin supérieur droit (robe + dos + tête relevée et les yeux qui regardent hors champ) qui donne un sentiment d'élévation, d'élancement, bien que la dame reste assise. Le miroir incliné vers le haut de la pièce participe de ce mouvement. Et c'est bien le propre de ces maisons de chercher à concilier l'histoire et l'avenir, la fidélité au passé et le rêve de grandeur nouvelle. C'est d'autant plus significatif pour une marque moribonde il y a 10 ans, qui s'est relevée et lance de nouveaux produits et un parfum aujourd'hui en France et demain dans le monde.
L'axe du corps du personnage trace une ligne transversale qui coupe le visuel en deux et construit un mouvement ascendant du coin inférieur gauche vers le coin supérieur droit (robe + dos + tête relevée et les yeux qui regardent hors champ) qui donne un sentiment d'élévation, d'élancement, bien que la dame reste assise. Le miroir incliné vers le haut de la pièce participe de ce mouvement. Et c'est bien le propre de ces maisons de chercher à concilier l'histoire et l'avenir, la fidélité au passé et le rêve de grandeur nouvelle. C'est d'autant plus significatif pour une marque moribonde il y a 10 ans, qui s'est relevée et lance de nouveaux produits et un parfum aujourd'hui en France et demain dans le monde.
Campagne Parfum Repetto 2013
Degas Danseuse assise, Musée d'Orsay, Paris
Degas Danseuse laçant ses chaussons
Toulouse Lautrec, Danseuse assise aux bas roses
Edward Hopper, Morning Sun, Columbus Museum of Art (Ohià)
Edward Hopper, Hotel Room, Fondation Thyssen-Bornemisza Madrid
Voir le chouette blog de James Bort.
J'ai également écrit un passage sur la marque Repetto dans le livre Brand Culture, publié chez Dunod avec Daniel Bo.
Monday, June 17, 2013
Dior et l'invention de la peinture
Dans cette publicité pour Dior Addict extreme, le visage de Kate Moss est présenté de face et de profil, sans que l'on sache exactement s'il s'agit (i) d'une ombre portée, (ii) du reflet dans un miroir ou (ii) d'un deuxième portrait représentant une deuxième facette - plus noire - du personnage.
Cette mise en scène rappelle le mythe de l'invention de la peinture par Pline l'ancien, qui est justement une fable sur l'origine du portrait : on raconte qu'à Corinthe, la fille du potier Butadès était amoureuse d'un jeune soldat. Celui-ci vint lui rendre visite la veille de son départ pour le régiment, et l'ombre de son visage de projetant sur le mur à la lumière d'une lanterne, la jeune fille s'empressa de tracer la silhouette de son bien aimé au crayon sur la paroi afin de conserver son image avant qu'il ne parte...
Il existe toute une tradition de l'ombre chinoise et de la silhouette, à l'exemple du portrait du cabaretier du Chat noir, Rodolphe Salis, par Charles Gerschel (vers 1895).
Cette question du portrait et de l'ombre portée posent toute une série de problèmes esthétiques et philosophiques qui intéressent directement la cosmétique et le maquillage. Le plupart des affiches publicitaires pour des produits cosmétiques ou de soin reprennent d'ailleurs - avec plus ou moins de talent - les thèmes mille fois traités par l'art du portrait.
Ce qui est plus manifeste ici, c'est la tension constitutive de tout portrait entre la reproduction exacte et l'invention. Le portrait né de l'ombre portée est la reproduction exacte et scientifique d'un contour : mais le portrait n'est jamais l'imitation pure et simple d'un visage, il entre toujours une part d'idéalisation, d'embellissement (et d'ailleurs la silhouette, en supprimant toutes les imperfections du visage pour n'en donner que la forme, pour aussi exacte qu'elle soit, est idéale). Or cette dialectique de l'embellissement / reproduction est justement l'un des enjeux essentiels du maquillage, qui fait de chacun le portraitiste de soi-même, et que Dior souligne ici de manière explicite : be iconic.
Le déjeuner sur l'herbe
Je préparais un post depuis longtemps sur le sujet, qui inspire visiblement plusieurs marques. La nouvelle image de la série "Secret Garden / Jardin Secret" de Dior à Versailles est une référence trop explicite au Déjeuner sur l'herbe de Edouard Manet pour différer plus longtemps la mise en ligne.
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Il reste cependant beaucoup à dire, chez Chanel et Monet et Titien, sur le charme des après-midi bucoliques et champêtres, des fontaines et des nymphes, et j'aimerais beaucoup interroger le photographe de ces campagnes. Dans la photographie de Secret Garden 2 réalisée pour Dior par Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, le parallélisme est quasi total entre les deux images : plan d'eau en arrière plan, les arbres et les personnages. Une différence de taille simplement : ce n'est plus le déjeuner sur l'herbe, mais le déjeuner dans la forêt, dont l'imaginaire est bien sûr différent de celui de la campagne, de la verdure et de la prairie.
Quelques remarques rapidement. Comme dans le déjeuner sur l'herbe, le personnage central en robe rouge qui nous regarde chez Dior se détache franchement du reste de l'image. Emile Zola disait à propos du déjeuner sur l'herbe que l'intérêt principal du tableau n'était pas le sujet mais le choix révolutionnaire de Manet d'avoir peint "un peu de chair blanche" au milieu de la verdure sombre, créant ainsi un contraste chromatique / dramatique du meilleur effet. Chez Dior le procédé est le même, avec le rouge de la robe posé juste à côté des sacs rose et orange.
Autre certitude : les hommes ont disparu. Ils ont été remplacés par deux personnages féminins habillés en costume sombre dont les yeux sont voilés, ce qui contribue d'ailleurs à rendre la scène énigmatique. Cela veut-il dire que (i) la femme en rouge est invisible, et qu'elle est ainsi comme une muse ou une nymphe des forêts, à l'images des deux nymphes que l'on voit dans le concert champêtre de Titien ci dessous ? ou bien que (ii) ce sont les femmes en noir qui sont des figures divines ou inspirées comme la Pythie de Delphes ou bien Tiresias, le devin aveugle, et qui ont pour mission de guider ou de veiller sur le sort du personnage central ? ou bien que (iii) ni l'un ni l'autre, elles ont juste un voile sur les yeux.


Il y a quelques temps, j'avais songé à rapprocher la publicité Chanel ci-dessus du Concert champêtre de Titien. On y retrouve le double principe de l'éviction des hommes et de l'habillement des femmes. Les femmes, qui étaient des figures tutélaires ou déesse des eaux chez Titien, et qui par conséquent apparaissent nues dans le tableau, mais invisibles des joueurs de musique, sont à présent habillées près de la fontaine, et sont les seules à l'image. Double processus de sécularisation et de féminisation.
Il y a là quelque chose qui mériterait d'être creusé davantage, d'être mieux articulé et nourri avec d'autres images, mais disons juste qu'il n'est pas illogique de la part de ces marques de chercher à mettre en scène la problématique de la visibilité du personnage, de la quête de l'avant plan et des meilleurs moyens d'être vu.

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Il reste cependant beaucoup à dire, chez Chanel et Monet et Titien, sur le charme des après-midi bucoliques et champêtres, des fontaines et des nymphes, et j'aimerais beaucoup interroger le photographe de ces campagnes. Dans la photographie de Secret Garden 2 réalisée pour Dior par Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, le parallélisme est quasi total entre les deux images : plan d'eau en arrière plan, les arbres et les personnages. Une différence de taille simplement : ce n'est plus le déjeuner sur l'herbe, mais le déjeuner dans la forêt, dont l'imaginaire est bien sûr différent de celui de la campagne, de la verdure et de la prairie.
Quelques remarques rapidement. Comme dans le déjeuner sur l'herbe, le personnage central en robe rouge qui nous regarde chez Dior se détache franchement du reste de l'image. Emile Zola disait à propos du déjeuner sur l'herbe que l'intérêt principal du tableau n'était pas le sujet mais le choix révolutionnaire de Manet d'avoir peint "un peu de chair blanche" au milieu de la verdure sombre, créant ainsi un contraste chromatique / dramatique du meilleur effet. Chez Dior le procédé est le même, avec le rouge de la robe posé juste à côté des sacs rose et orange.
Autre certitude : les hommes ont disparu. Ils ont été remplacés par deux personnages féminins habillés en costume sombre dont les yeux sont voilés, ce qui contribue d'ailleurs à rendre la scène énigmatique. Cela veut-il dire que (i) la femme en rouge est invisible, et qu'elle est ainsi comme une muse ou une nymphe des forêts, à l'images des deux nymphes que l'on voit dans le concert champêtre de Titien ci dessous ? ou bien que (ii) ce sont les femmes en noir qui sont des figures divines ou inspirées comme la Pythie de Delphes ou bien Tiresias, le devin aveugle, et qui ont pour mission de guider ou de veiller sur le sort du personnage central ? ou bien que (iii) ni l'un ni l'autre, elles ont juste un voile sur les yeux.


Il y a quelques temps, j'avais songé à rapprocher la publicité Chanel ci-dessus du Concert champêtre de Titien. On y retrouve le double principe de l'éviction des hommes et de l'habillement des femmes. Les femmes, qui étaient des figures tutélaires ou déesse des eaux chez Titien, et qui par conséquent apparaissent nues dans le tableau, mais invisibles des joueurs de musique, sont à présent habillées près de la fontaine, et sont les seules à l'image. Double processus de sécularisation et de féminisation.
Il y a là quelque chose qui mériterait d'être creusé davantage, d'être mieux articulé et nourri avec d'autres images, mais disons juste qu'il n'est pas illogique de la part de ces marques de chercher à mettre en scène la problématique de la visibilité du personnage, de la quête de l'avant plan et des meilleurs moyens d'être vu.

PS : on retrouve dans les images ci-dessus l'accent mis sur le calme et l’harmonie des après midi à la campagne, loin du bruit de la ville, dans la lumière du soleil. Référence traditionnelle aux poésies bucoliques et à l'imaginaire pastoral, ce qui, naturellement, renvoie aux images traditionnelles du luxe, calme et volupté comme disait l'autre. Chez Dior la connotation est un peu différente car la campagne est baignée d'un climat fantastique, des forêts mystérieuses, qui apporte une note un peu complexe et doucement inquiétante. Signe des temps ou bien évolution lente ? A suivre.
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